samedi 1 décembre 2012

La Véronique image ou non de la représentation - De la Légende à l'art contemporain : une iconologie - Verônica - A Lenda de arte contemporânea: uma iconologia - Verónica - La leyenda del arte contemporáneo: una iconología - Veronica - The Legend of contemporary art: an iconology - Veronica - Legenda de arta contemporana: o iconologie - Veronica - The Legend of zeitgenössische Kunst: ein Ikonologie - Veronica - An Finscéal de ealaín chomhaimseartha: an iconology - 维罗尼卡 - 当代艺术图像学的传说 - Veronica - La leggenda di arte contemporanea: una iconologia - Вероника - легенда современного искусства: иконология -Вераніка - легенда сучаснага мастацтва: иконология - فيرونيكا - أسطورة الفن المعاصر: لiconology - וועראָניקאַ - די לעגענדע פון הייַנטצייַטיק קונסט: אַ יקאָנאָלאָגי -


Le site complet compte à ce jour 143 articles : il est à votre disposition. Toutes les pages sont issues de mes recherches personnelles et universitaires. Les emprunts à des auteurs sont signalées et il n'y a aucun élément qui tombe sous le coup de la protection des données des lois européennes sans compter que je respecte avant tout la tradition de libertés et de démocratie de la république française. En tant que citoyen français je me conforme à la législation française. Toutes les photos publiées l'ont été avec l'accord des personnes à la date de leurs publications. Ces pages ainsi que tous les documents produits sont assujettis à Copyright et droits d'auteur. Il n'y a aucune raison commerciale, ni déclarée ni cachée, pour la construction de ce blog.  Vous pouvez aussi aller sur le moteur de recherche à droite de votre écran sur cette page. Vous pouvez rechercher tout ce qui vous intéresse, du dessin à la peinture, à l'archéologie, à l'architecture, à la poésie, à la sculpture, aux pages magazines, pour votre stricte curiosité ou culture personnelle, et pour toute autre action ne débordant pas le cadre strict de la consultation. Pour les universitaires qui voudraient produire certains de ces travaux, me contacter sur la partie "blogger" en bas de page, en me laissant votre adresse courriel de messagerie. Pour clarifier mes compétences professionnelles, voici le panorama de mes formations. Lycée technique, mécanique, où j'ai appris le dessin industriel que j'ai par la suite appliqué au dessin d'architecture de relevés archéologiques appris à l'université de Poitiers. Formation militaire BMP1 (engagé trois ans dans les Commandos Troupes de Marine - 22° RIMA puis 1° BPCS - Importante formation à la topographie si utile pour mes recherches archéologiques) - Formation d'Infirmier du Secteur Psychiatrique en 28 mois, IDE par Réforme Hospitalière -  Nombreux travaux et nombreuses formations avec des maîtres de la peinture (lithographie, gravure, peinture,...) et de la littérature contemporaine. Doctorat Lettres et Arts  (mention Très Honorable avec Félicitations), Histoire de l'Art et Archéologie, Université de Provence Centre d'Aix à partir d'autres formations de ce cycle à l'Université de Tours (2 ans - Centre d'Etudes Supérieures de la Renaissance), de l'Université de Poitiers (2 ans - Centre d'Etudes Supérieures de Civilisation Médiévale), et deux ans de formation en lettres à l'université de Nice, et stages divers - Diplôme Inter-Universitaire de la Faculté de Médecine de Lille, "La Santé Mentale dans la Communauté" en lien avec l'OMS/CCOMS. Sur Google "Les budgets aidants..".http://www.ccomssantementalelillefrance.org/sites/ccoms.org/files/Memoire-Peynaud.pdf. J'exerce au C.H.Cannes en tant que coordinateur/responsable des Ateliers Thérapeutiques-Psychothérapie Institutionnelle du Pôle Santé Mentale en Intra Hospitalier)


 Pour voir des liens avec de nombreux articles sur les 141 que compte ce blog, veuillez vous reporter en bas de page. Merci.

            Cet article peut être mis en lien avec :
               Henry Chopin et la bibliothèque de Valérie Peynaud au mois décembre 2013
                          http://coureur2.blogspot.fr/2013/12/henri-chopin-et-la-bibliotheque-de.html


Langages de l'art contemporain - Répétition ordinaire.... au mois de septembre 2013
http://coureur2.blogspot.fr/2013/09/repetition-ordinaire-bifurcation-art-du.html

Surtout, cette étude constitue une suite à l'article plus récent rédigé à partir du mois d'avril 2021 
Iconographie transitoire du haut-moyen-âge, à ce jour inconnue, entre la légende et la formation du XIII° siècle.
Iconologie - Un couvercle de sarcophage mérovingien - une corniche de l'église de Saint-Amant-de-Montmoreau (Charente) - Archéologie médiévale.
https://coureur2.blogspot.com/2021/04/iconologie-un-couvercle-de-sarcophage.html



Mon relecteur et conseiller en versions latines a été feu
Monsieur Jacques Gasc
Professeur Agrégé de Lettres Classiques
Commandeur des Palmes Académiques
                     Un des quatre exemplaires qui ont été édités par le service de reprographie du C.H.Cannes en 2007
(Je demande aux lecteurs, comme pour tous les articles de ce blog de respecter ma propriété scientifique et d'auteur)


                 L'origine de cette recherche est une demande d'étude de thème qui m'avait été faite en 2007 par le Docteur Gérard Oppenheim qui voulait faire travailler ses psychologues sur le sujet


"la Véronique
Signe ou non de la représentation"

                  Cette recherche que j'ai menée de juin à octobre 2007 ne devait pas à l'origine couvrir une aussi vaste période. J'ai voulu pousser le sujet jusque dans ses retranchements. J'y ai été aidé par La Bibliothèque/Médiathèque de Cannes et par la Bibliothèque de l'Evêché de Nice. Je comprendrais fort bien des désappointements des autorités ecclésiastiques par mon approche de la répercussion du thème dans l'art contemporain, et même "d'avant garde". De mon point de vue scientifique c'est plutôt un hommage rendu à la puissance iconographique du sujet. 
                 Je ne voulais pas publier cet article et puis, après réflexion, il me semble que c'est de l'ordre de la dignité de l'homme de faire partager une réflexion lorsqu'elle est scientifiquement construite, quelle qu'en soit sa réception. 
          La Véronique est un exemple par excellence de thème puissamment civilisateur, aux antipodes de la fugacité des mots d'ordres ou des appartenances sectaires, et qui, pourtant aux origines parentes de celles des grandes légendes du Moyen Âge, à chacune des époques depuis plus de mille ans déjà jusqu'à nos jours, apparaît aux grandes charnières culturelles de notre histoire, de notre civilisation : 
en ce sens ce thème hors normes est "miraculeux". 
Et c'est l'étude de l'art, de l'histoire de l'art, qui nous en permet cette approche scientifique 
du merveilleux moyenâgeux remonté jusqu'à nous. 


LA VERONIQUE
[Il existe une Sainte-Véronique (1445-1597) qui fut une religieuse italienne originaire du Milanais et qui se distingua par l'austérité de ses pénitences. La Sainte-Véronique se fête le 13 janvier.
                       Véronique c'est aussi une fleur et une passe de tauraomachie.
                        Véronique est la Sainte-Patronne des photographes et elle est invoquée par les lingères. C'est encore la Sainte-Patronne des Marchands de Toile. Confondue avec l Hémorhoïsse, les femmes l'invoquait pour leurs règles et elle était censée guérir la stérilité au XVII° siècle.
                      Ces "Véroniques" particulières n'apparaîtront pas dans cette étude, même lorsque j'aborderai une thématique en "Sainte Véronique'" ( ce sera tout à fait autre chose) où que je rencontrerai le mot "Hémorhoïsse" que je lirai simplement comme synonyme de "Véronique" et non pas comme une guérisseuse].  
                                                    =
                             LA VRAIE ICÔNE ou IMAGE
                                                (Latin = vero) (Mot grec = icona)

            La définition du dictionnaire LAROUSSE, édition de 1923, est la suivante :
              "Véronique : femme juive qui, selon la tradition, essuya le visage de Jésus montant au Calvaire, avec un linge blanc, où se grava l'empreinte des traits du sauveur".

          L'absence de référence biblique dans la définition du dictionnaire fait sens. En effet, le texte qui introduit le thème iconographique est un apocryphe dans lequel "la vraie icône" est une juive ["Les trois chutes de Jésus, ployant sous le poids de la croix; sa rencontre avec Marie, sa mère, et avec Véronique, dont le voile reçu l'empreinte de son visage, n'ont aucun fondement dans le Nouveau Testament " cf. G.Vermes, "Les énigmes de la Passion. Une histoire qui a changé l'histoire du monde. Paris, 2005-2007, p.86] c'est-à-dire un véritable personnage mais qui n'est pas celui de l'image vénérée : c'est celui de l'héroïne qui recueille l'image. Et, le caractère de cette vraie image, qui n'est pas sienne et qui n'est pas sainte, va entraîner de nombreuses versions iconographiques et paradoxalement, des appropriations dans le cortège du culte des saints qui stigmatisent les foules en exhibant leurs martyres par les représentations qu'en donnèrent les peintres, des sculptures et tous les créateurs d'images, travaillant sans cesse sur la scénographie dramaturge, créant la martyrologie. Par les avancées de cette étude sur le thème de La Véronique je serai amené à présenter les versions iconographiques du thème et à les étudier mais aussi à écarter toute question relative au culte des saints. Je vais travailler sur un schéma simple isolant trois principaux types de représentations : une première que j'appellerai "reliquaire", une seconde "anecdotique" et une troisième "allégorique" [Ou allant vers la formation allégorique. La définition de l'allégorie est "une représentation, expression d'une idée par une figure dotée d'attributs symboliques par une métaphore développée (littérature)". Ici la Véronique avec sa toile qui devient son attribut obligé dépasse la fonction symbolique pour aller vers le rôle d'acteur : c'est une femme agissante, active car elle amène le linge à la face de Jésus, et passive car l'image s'imprime d'elle-même sur le linge.]. Par ailleurs, le "verbe incarné" (fait chair) et le concept de transsubstantiation seront les filigranes d'une trame qui se dégagera peu à peu, entraînant vers des lectures trinitaires et eucharistiques de certaines formations iconographiques du thème, mais aussi à les contester.
                            Il faudra ensuite, avec l'arrivée de La Véronique dans l'art contemporain, considérer une nouvelle appropriation de la légende par le mythe comme une sorte d'adaptation interne du thème à la conscience des hommes du XX° siècle.

                              Si je replace cette étude dans le contexte qui est à son origine, dans un second temps il appartiendrait aux psychologues de considérer ces matériaux d'études pour répondre à la question posée par le Docteur Gérard Oppenheim "La Véronique : signe ou non de la représentation ?".


La naissance du thème.

                               Louis Réau place la Véronique dans les trois images achiropoètes qui sont des représentations du Christ réalisées sans intervention de la main de l'homme (en opposition aux images chiropoètes" . Ces images sont au nombre de trois : le Mandylion du roi d'Edesse Abgar, le Voile de Sainte Véronique, le Saint Linceul de Turin. L'auteur précise qu'il vaut mieux utiliser le mot "suaire" pour le linge recevant la face et le mont "linceul"  pour le drap qui recueille l'ensemble du corps du Christ.
                                      Les deux premières représentations touchent seulement la Face et les trois versions achiropoètes donnent lieu à un culte des reliques. En revanche, seulement les deux premières versions de la Face sont conséquentes pour l'évolution iconographique du caractère archiropoète de ces images. Le saint Linceul de Turin se trouve écarté de cette étude. Dans son volume de 1959 consacré au culte des saints Louis Réau donne une même source pour ces deux premières histoires dans un texte de la Légende Dorée de Jacques de Voragine [L.Réau, Iconographie de l'art chrétien - III - Iconographie des saints. ¨Paris, 1959, p.1314 "Véronique est une variante du mandylion d'Abgar"], contrairement à ses premières insertions de 1957 où il donnait seulement l'origine de la Légende Dorée pour le mandylion. Il voyait une source de la Véronique dans la bible de Roger d'Argentueil - vers 1300 - à peu près contemporaine de la Légende Dorée.
                                  Le Mandylion ["Mandylion" en grec moderne désigne un petit carré d'étoffe (ex. un mouchoir). "Mantila" ou "mantyla", ou "mandila" ou "mandyla" [s'écrivant "nt" en grec moderne et se lisant "d", et le "i" étant une sorte de "n" surmonté d'un accent tonique pouvant être un "i" ou un "y", désigne un grand mouchoir, ou foulard, avec lequel les femmes couvrent leur tête, leur gorge et leurs épaules. Ce mot désigne aussi la couverture de la Sainte Table : Je remercie Madame Papadimitriou Sacquépée pour ces précisions de traductions et de philologie du grec moderne] du roi d'Edesse Agbar m'intéresse car il serait une des plus anciennes formations de l'icône byzantine, au VI° siècle, dans la mouvance du culte des reliques en Orient, à partir des portraits de la peinture antique précise Etienne Coche de La Ferté. Cet auteur l'introduit dans son étude en tant que Sainte Face ayant sauvé Edesse de l'assaut des Perses en 544 [E.Coche de la Ferté, "L'art de Byzance. Paris, 1981. Au chapitre sur l'histoire de l'icône byzantine, p.70 à 72].
                                   Louis Réau [L.Réau, 1957, op.cit., p.2] présente le Mandylion en ces termes "C'était un simple masque, sans indication de cou ni d'épaules, mais avec de longues boucles pendantes de chaque côté du visage : ce qui exclut la possibilité d'une empreinte". André Grabar précise que ce Mandylion est à l'origine d'une icône russe du XIII° siècle, la Sainte Face de Laon qui fut envoyée de Rome en 1249 au couvent de Montreuil-le-Dames par Jacques de Troy, le futur Pape Urbain IV. Cette icône fut ensuite transportée au XVII° siècle au trésor de de la cathédrale [A.Grabar. "La Sainte Face de Laon. Le mandylion dans l'art orthodoxe". Prague, 1931].
                                         
                                       Je n'ai retrouvé qu'un seul texte sur la Véronique, celui qui apparaît dans la Légende Dorée de Jacques de Voragine (Jacopo de Varazze, né vers 1228-30, décédé en 1298), archevêque de Gênes. Encore que cet auteur précise à la fin de son chapitre sur La Véronique (deux pages plus loin) "Ce qui est rapporté jusqu'ici est tiré d'une histoire apocryphe. On laisse au lecteur à juger de la valeur de ce récit. Notez pourtant que l'histoire scolastique rapporte que Pilate fut accusé devant Tibère..." et la légende de Véronique est effectivement suivie  d'un épisode du manteau qui peut avoir des rapports, dans d'autres versions, avec ces lignes de Louis Réau évoquant la légende à l'origine du mandylion "Agbar aurait écrit à Jésus pour lui offrir un asile contre la méchanceté des Juifs. Le Christ ayant accepté sa proposition, il lui envoya à Jérusalem un peintre chargé de faire son portrait ; mais le visage divin brillait d'un tel éclat que le peintre ébloui ne put travailler. Alors Jésus prit un pan de son manteau et appliqua l'étoffe sur son visage qui y resta imprimé" [Il y aurait eu deux reliques de la même Face : une pour chaque église ; soit une pour Rome et l'autre pour Byzance. Il va alors de soi que la même héroïne n'est pas venue avec sa collection de mouchoirs dans le but d'alimenter en reliques les futures formations d'églises chrétiennes. Cet état d'enfance du raisonnement qui fait sourire n'en n'est pas moins extrêmement importante car il donne déjà une orientation d'objectif théologique ayant provoqué la naissance des ces légendes et des besoins que les églises en avaient. Les légendes ont donc un sens véritable au côte du "Verbe". Légende signifiant "ce qui est donné à lire"].
                                 A partir de ces sources riches et confuses  - d'où se détachent , ou semblent clairement se détacher deux iconographies : une orientale du Mandylion et une occidentale de La Véronique - je vais explorer le thème dans l'art occidental. Plus loin nous verrons en quoi cette introduction sur l'iconographie orientale sera utile à l'étude du thème occidental.

                                           Le texte narrant l'histoire de La Véronique s'inscrit dans le chapitre consacré à La Passion du Seigneur [J. de Voragine, "La Légende Dorée". Vol.1, p.267 de l'édition Garnier/Flamarion]. L'auteur se référant à l'Histoire Scolastique (sic) amène son lecteur à la discorde entre Pilate (chevalier romain, préfet de Judée sous Tibère) arbitrée par Tibère qui tombe gravement malade et - ignorant que Jésus a été crucifié par les Juifs auxquels Pilate l'avait livré - demande à Pilate de lui envoyer ce médecin (Jésus) qui guérit d'une seule parole [La référence aux Evangiles est parfois étroite: (Lc 13-31.33) "Allez dire à ce renard : voici, je chasse les démons et j'accomplis des guérisons aujourd'hui et demain, et le troisième jour c'est fini. Mais il ne faut pas poursuivre ma route aujourd'hui et demain et le jour suivant, car il n'est pas possible qu'un prophète périsse hors Jérusalem"]. Volussien, l'envoyé de Tibère auprès de Pilate, découvre la mort de Jésus par l'intermédiaire de Véronique "...Volussien s'informa auprès d'une dame nommée Véronique - qui avait été amie avec J.C. - où l'on pouvait trouver le Christ Jésus : Véronique lui dit : "Ah! c'était mon seigneur et mon Dieu : trahi par jalousie, il fut condamné à mort par Pilate qui l'a fait attacher à la croix." Alors Volussion fut très chagriné  : "Je suis bien en peine, lui dit-il, de ne pouvoir exécuter les ordres de mon maître." Véronique répondit : "Alors que mon seigneur parcourait le pays en prêchant , comme j'étais privée, bien malgré moi, de sa présence, je voulais faire exécuter son portrait, afin que, lorsqu'il ne me serait plus donné de le voir , je pusse au moins me consoler en regardant son image : alors je portais la toile du peintre , quand le seigneur vint au-devant de moi et me demanda où j'allais. Lorsque je lui eus exposé le sujet de ma course, il me demanda la toile, et me la rendit avec l'empreinte de sa face vénérée. Si donc votre maître regarde avec dévotion les traits  de cette image, à l'instant il aura l'avantage de recouvrer la santé." Volussien lui répartit : "Peut-on se procurer ce portrait à prix d'or ou a prix d'argent ?". Non, répondit-elle, mais seulement au prix d'une ardente dévotion. Je partirai avec vous  : je montrerai ce portrait à César pour qu'il le voie et je reviendrai."Volussien revient alors à Rome avec Véronique et dit à l'empereur Tibère : "Jésus que vous aviez grand désir de voir, a été livré  à la mort par Pilate et par les Juifs qui l'ont attaché à une croix par jalousie. Or, est venue avec moi une dame qui porte l'image de ce même Jésus : si vous regardez ce portrait avec dévotion, vous obtiendrez à l'instant votre guérison et la santé". Alors César fit étendre des tapis de soie sur le chemin et commanda qu'on lui présentât le portrait : il ne l'eut pas plus tôt regardé qu'il recouvra sa santé première..."

                 L'auteur de ces lignes s'inscrit constamment dans le cadre de la pensée scolastique pour introduire le thème de La Véronique dans l'histoire de la Passion. J. de Voragine est effectivement un grand intellectuel de la chrétienté, contemporain de la nouvelle définition du dogme de la transsubstantiation [en complément de lecture se rapporter à la célébration de l'Eucharistie dans la messe. Pour sa part la Transfiguration appartient au texte biblique puisqu'il s'agit d'une scène de la vie de Jésus relatée par les synoptiques (les trois premiers évangélistes Mathieu, Marc et Luc) : une raie de lumière lors de la montée de Jésus à Jérusalem. Par analogie ce sera la transformation spirituelle des croyants.] au Concile de Lyon de 1274, premièrement établi au quatrième Concile du Latran de 1215. Dogme selon lequel la substance du pain et du vin est miraculeusement transformée en corps et sang du Christ, sans changement de forme [pour des compléments d'informations utiles je propose au lecteur de le renvoyer aux textes de l'encyclopédie Universalis au sujet de la Passion dans la pensée scolastique aux origines de la réforme de Saint-Elme (Anselme de Cantorbéry - 1033/34 - 1109) qui rejeta le pouvoir laïc en recentrant la chrétienté sur la discipline de vie et de vertu. Un des fondements de cette pensée est "comprendre ce que l'on croit" (Proslogion - 1078)].


L'arrivée du thème dans l'art occidental et sa place dans la peinture et la littérature depuis la fin du Moyen Âge jusqu'à nos jours.

                      Comment passe t-on de ce texte de Jacques de Voragine aux premières représentations de La Véronique dans la peinture occidentale ?

                          D'abord il y eut la sculpture

                               Emile Mâle donnait à la statuaire le plus ancien exemple connu de la représentation de La Véronique : une statue du XIV° siècle à Ecouis (Eure)
E.Mâle "L'art religieux de la fin du Moyen Age en France. Etude sur l'iconographie du Moyen Age et sur ses souRces d'inspiration". Paris, 1922, vol.III, p.64
Louis Réau précise " Statue en pierre de Vernon commandée vers 1310 par Enguerrand de Marigny, conseiller de Philippe le Bel, pour la collégiale Notre-Dame-d'Ecouis (Eure)". Remarquons que la représentation de la Face livre assez peu de détails hormis les yeux fermés. C'est le linceul d'un Christ mort que brandit cette Véronique. Ceci est contraire à toutes les insertions d'auteurs qui donnent la face de Jésus représentée en tant que Christ vivant. Effectivement, si nous suivons la logique du recueil de l'image ce ne peut  être que celle d'un homme vivant tant dans la légende liée au Mandylion qu'à La Véronique.
           Déjà, pour cette représentation sculptée, presque contemporaine de  La Légende Dorée ou de la Bible de Roger d'Argenteuil [Pour rappel : dans l'insertion du volume de Louis Réau de 1957 lce même auteur ne reprend pas cette insertion en référence à cette bible dans une publication postérieure de 1959. Personnellement je n'ai pu avoir accès à cette bible. Dans un souci d'exhaustivité des sources je conserve donc, bien que prudemment, l'hypothèse de travail orientée par le volume de 1957], nous voyons que le choix iconographique est celui du recueil de la Face sur le suaire d'un homme mort, proche du linceul de Turin. Les réalités des rites funéraires ont peur-être dicté ce choix iconographique plus en accord avec le culte des reliques du Moyen Âge romain. On prétendait que Saint-Pierre de Rome possédait une relique de la Face du Christ imprimée sur le voile de Véronique [L.Réau, 1959, op.cit., p.1315].

           Ensuite il y eut la peinture.
              
                      Si Emile Mâle  semble, dans son approche de La Véronique, avoir ignoré le texte de l'archevêque de Gênes il n'en proposa pas moins une étude extrêmement pertinente, reprise par des auteurs plus modernes [E.Mâle, 1922, op.cit., p.64].
                            Après avoir mis en lumière le rôle joué par le théâtre médiéval aux XIV° et XV° siècles - à travers les auteurs des Passions et des Mystères avec leurs décors, avec leur mises en scène et leurs costumes - établissant un lien liturgique continu avec les XII° et XIII° siècles, Emile Mâle écrivait :
      " - La légende de La Véronique est fort ancienne, mais il est curieux de remarquer qu'elle n'apparaît dans l'art que vers la fin du moyen âge. La raison en est toute simple : l'antique tradition n'est devenue célèbre que du jour où elle est entrée dans la trame des Mystères. On la retrouvera dans toutes nos grandes Passions,celle de Mercadé, de Gréban, de Jean Michel, où elle forme le principal épisode de la montée au calvaire. C'est pourquoi on voit la légende, longtemps stérile, s'épanouir dans l'art de la fin du Moyen Âge."

                              La Véronique de la Montée au Calvaire ou du Portement de Croix est la forme peinte ou l'anecdote (Véronique anecdotique) retenue par les principaux iconologues, alors que ce n'est pas la seule. Mais c'est bien à partir d'elle que semblent se former toutes les autres représentations, ou pour le moins à partir de son apparition dans la peinture occidentale. On la retrouve depuis la fin du XIV° siècle, ou au tout début du XV° siècle 
jusqu'à nos jours puisque des peintres du XX° siècle, comme Maurice Denis, la représentent ainsi en 1943
et certains écrivains modernes - dont Paul Claudel et Jean Debruyne - donnent des stations du Chemin de Croix avec des scènes de Véronique
Dans le texte de J. de Voragine il n'en n'est pas ainsi. La légende situe les épisodes très en amont du cycle de la Passion biblique. Remarquons que, même au XV° siècle, des peintres du Portement de Croix ignorent totalement La Véronique. Ce thème n'est pas canonique et son intrusion semble avoir été à la discrétion des commanditaires ou des peintres qui avaient toutefois très peu de libertés en matière de choix iconographiques. Il est pareillement remarquable de ne jamais rencontrer cette représentation dans une autre scène de la vie de Jésus, sauf dans la période symboliste de la fin du XIX° siècle 
Pendant la Réforme (XVI° siècle) les artistes qui la représentent peuvent faire figure de peintres marginaux. C'est pour le moins comme cela que Francesco Frangi s'exprime au sujet de la représentation de Girolamo Romanino de 1530 [F.Frangi, "Exentrique Romanino". Dans, "F.M.R n°18 - Avril-Mai 2007", p.49 à 72]: "Milieu culturel en marge, peu exigeant et peu susceptible à brider sa fougue". Raphaël dans son Portement de Croix de 1517, dit le "Spasimo di Sicilia" fait seulement une très discrète allusion à La Véronique en donnant à une servante agenouillée le rôle de soulever le voile de la Vierge qui tend les bras vers le Christ plié sous la croix.
                           Les peintres de La Véronique du Portement de Croix  ont recours à plusieurs montages [Dans les cycles peints en retable la place de La Véronique est en prédelle "...pour permettre aux fidèles de s'inscliner au passage ou de baiser la sainte image" cf. L.Réau, 1959, op.cit., p.1316]
                                                                  IIIIII place de l'image ci-dessous

               - Les représentations de dos de La Véronique sont plus fréquemment composées sur une mise en diagonale des personnages : Christ/Véronique. Le Christ courbé porte la croix sur l'épaule opposée à La Véronique agenouillée de trois quart dos en direction du Christ qui présente son visage de face 
Dans ce cas, la Face, c'est celle du Christ plié sous le poids de la croix. Le peintre fait l'économie d'un portrait et donne au suaire la fonction du dos d'un miroir [j'accorde mon vocabulaire à celui de la psychologie bien que ma position soit que cette science du XX° siècle devrait traiter d'outils iconographiques en accord avec son temps - voir mes remarques à ce sujet sur mon article autour du Mur de Berlin, sur ce blog au mois d'août 2012 .Mais je ne suis pas hostile à d'autres ouvertures aussi "je joue le jeu" qui m'est demandé par cette iconologie qui est en quelque sorte une commande ( sans abandon de propriété au commanditaire ni à l'institution, toutefois puisqu'il n'y a aucune raison pour cela) et je rends hommage à la démarche du Dr Oppenheim car je souhaiterais que bien d'autres psy fassent la même avant de s'aventurer dans des études sémiologiques dont on mesure par rayons entiers les très hautes fantaisies publiées par des laboratoires sans autre recul qu'une démarche commerciale - C'est ici une insertion que je fais spécialement pour cette rédaction sur ce blog et qui ne figure nullement dans le texte remis au Dr Oppenheim, par politesse et par courtoisie et par respect pour sa maîtrise de sa discipline médicale - qui est aussi un art - et bien évidemment tout le contraire d'une science de fantaisie - donc ce n'est pas du tout une offense faite ni aux psychologues ni au médecins psy mais une position d'historien d'art et d'archéologue en accord avec ce que j'expose sur cette page du Mur de Berlin], mais cela n'a aucune incidence autre que de qualifier une forme de montage qui respecte l'aspect achiropoète du recueil de la Face mais ne montre pas l'image recueillie, nous renvoyant, en boucle, à l'image du Christ sous la croix.
                      - Les représentations avec le Christ plié sous la croix montrant son profil, et je reprends une image déjà produite

ou sa face
avec une Véronique 
résolument tournée vers nous et présentant la face ou le profil de son suaire dans notre direction se divise en Véronique brandissant un linge nu ou vide de toute représentation et Véronique montrant le linge avec la représentation peinte de la Face. Dans un cas le recueil de la Face est en devenir (à moins qu'on accorde une valeur symbolique à ce linge vide de toute représentation) : Véronique va se tourner vers le Christ pour recueillir l'image. Dans l'autre cas Véronique a déjà bien recueilli la Face et elle se tourne vers nous pour montrer ce qui est déjà une relique.

                    Dans un cas comme dans l'autre nous avons à faire à un portrait où le geste du peintre n'est pas représenté. Nous restons dans le cadre du recueil achiropoète même si nous savons bien que c'est un peintre qui a peint l'une et l'autre représentation. Ce qui compte c'est l'idée divine qui est transmise et non pas le moyen humain de transmettre l'image. Le rôle du peintre s'efface derrière l'aspect culturel. Nous avons déjà une ébauche du passage de la Face (du verbe) à l'image sans transformation.

                   Tant que nous restons dans l'aspect anecdotique de La Véronique nous rencontrons une iconographie qui fait ou ne fait pas l'économie de la Face recueillie sur le suaire, mais qui ne peut pas se soustraire à cette image d'une réalité imagée et imaginée par le théâtre avec en personnage central le Christ montant au calvaire dont la souffrance est mise en scène par le peintre. La Véronique peut apparaître comme un symbole - tout en conservant sa valeur anecdotique, sans atteindre la dimension d'une allégorie [à moins que cette idée d'allégorie se déplace comme dans la lecture de "mise en abîme" (sic) d'André Chastel "Un plaidoyer à-peine dissimulé pour le culte des images...Une allégorie des pouvoirs de la peinture" cf. A.Chastel, "La Véronique". Dans, "Revue de l'Art - N° 40-41, 1978"] - à plusieurs places possibles dans les compositions peintes pour une même fonction dédoublée s'il y a peinture du portrait sur le voile : recueillir l'image achiropoète et montrer la relique.

                           L'apparition de la représentation en peinture de La Véronique seule présentant le voile imprimé de la Face (Véronique Reliquaire) n'est pas antérieure à la construction de la scène de La Véronique du Portement de Croix. Je ne peux donc pas rattacher historiquement la formation de l'iconographie peinte du Christ aux yeux fermés, imprimé sur le linge, à la statue d'Ecouis. Force est de constater que la figure seule de La Véronique brandissant le voile avec la face imprimée du Christ en peinture est une formation qui double la représentation du Portement de Croix ou qui en est issue en formation abrégée mnémonique. Cette présentation de la Face du Christ sur le linge tenu de face ou en léger profil par La Véronique montre tantôt la Face du Christ couronnée d'épine et souffrant, tantôt la Face d'un Christ serein. Dans les deux cas le Christ a les yeux ouverts et la bouche fermée et tantôt il est simplement chevelu et tantôt il est barbu, voire peint avec une moustache. Les oreilles ne sont jamais représentées pas plus que tout autre détail anatomique du corps du Christ que la Face, à-peine si parfois le départ du cou est esquissé.
                             Nous nous trouvons bien alors dans le cadre de la Face achiropoète recueillie du vivant du Christ. D'un côté la Face couronnée d'épines recueillie lors du Portement de Croix de la formation théâtrale et d'un autre côté la Face imprimée sur le voile, conforme à la Légende Dorée de La Véronique partie à la recherche du Christ avant le cycle de la Passion biblique, pour faire exécuter son portrait par un peintre.
                               Je pourrais en rester à la lecture de ces images au regard de La Véronique toujours baissée vers la Face, renvoyant à la fois au regard de la compassion pour Jésus et au respect de La Véronique pour son maître. A cette présentation un peintre flamand associe l'image des anges avec un sol mis en damier et une absence de traitement de fond du tableau du gothique international [localement, les peintures des chapelles peintes des Alpes-Maritimes - voir la page consacrée à ces chapelle au mois de mars 2012 sur ce blog - ont souvent des sols en damiers, des tentures de bas de scènes en parallélépipèdes imbriqués, des couvertures végétales fleuries et des absences de traitement de fond des scènes en espaces construits au profit de réseaux colorés : tout ça appartient bien sûr au vocabulaire pictural du gothique international du XV° siècle, jusque dans la première moitié du XVI° siècle] . Au sujet de ce tableau si-dessous Anna Eörsi écrit : "...Ce visage sombre...rappellent les 
icône byzantines qui en raison des copies constantes sont passées d'une génération à l'autre  relativement inchangées...trois plans bien séparés s'alignent les uns derrière les autres : celui des anges, celui du voile...de Sainte-Véronique...signifient aussi les trois niveaux de la "réalité".. L'image du Christ est la plus abstraite , sans aucun lien terrestre, même les plis de l'étoffe ne déforment pas les traits" [A.Eörsi, "La peinture de style gothique international". Budapest/paris, 1984, Planche 31 avec ses commentaires à la page précédente (non numérotée)]. Ailleurs, La Véronique
est représentée en Majesté sur un trône au dossier nimbé de la croix dans un rappel abrégé de l'iconographie de la "Sainte-Conversation" où la Vierge en trône , surélevée et centrale, tient l'enfant Jésus  dans ses bras, entourée d'une cour céleste de saints. Cette représentation analogique à une scène de l'enfance est fréquente puisque , dans l'iconographie religieuse du Moyen Âge, l'enfance de Jésus est très souvent  l'annonce de la Passion. Moins fréquent est de donner à toute autre représentation - hormis Sainte-Anne dans le dogme de l'Immaculée Conception [pour mémoire, le dogme de l'Immaculée Conception concerne la virginité de Sainte-Anne qui doit avoir elle-même engendré la Vierge par l'Esprit Saint. Les débats sur cette question alimenteront les questions théologiques des XV° et XVI° siècles, mais ils n'aboutiront à un véritable dogme de l'Eglise que par la bulle ineffabilis de Pie IX, le 8 décembre 1854] - la place de la Vierge à une servante. Toutes ces formations montrent également Véronique voilée, en habit de religieuse [Je n'ai trouvé que deux représentations de Véronique tête nue : une d'Otto Varnius 

             et l'autre dans la représentation du Christ aux outrages d'Henry de Goux, vers 1890, déjà présentée plus haut dans la page (période symboliste). Une autre représentation fait la part des choses : c'est une partie tombante du voile que Véronique a sur sa tête qui recueille l'image] Les peintres n'associent donc pas le ou les voiles qui couvrent la tête de Véronique au voile qui recueille la Face alors que dans l'iconographie byzantine le Mandylion par sa traduction littérale oriente vers le propre voile de Véronique couvrant sa tête ou ses épaules. Véronique la servante juive de Jésus est également devenue tantôt une religieuse catholique et tantôt une sainte. L'état sanctifié du personnage de Véronique date des premières représentations du thème dans la peinture occidentale ce qui expliquerait ces glissements de représentation en majesté (?).
                                   Ces questions, qui semblent superflues, sont au contraire importantes compte tenu des rigueurs auxquelles les peintres sont tenus par les commanditaires dans un climat de déliquescence vis-à-vis de références bibliques, voire au respect même de la hiérarchie de la cour céleste comme la servante qui prend la place de la mère du Christ ou Véronique la servante juive devenue une sainte. Bien que les excès des apocryphes, au côté du relâchement des mœurs, entraînent une bonne part des crises aux sources de la Réforme du XVI° siècle  les références bibliques ne sont pas exempts de la confection des images pieuses qui sont en fait plus des illustrations d'idées que des recherches de scènes réalistes dans le sens moderne du concept comma Anna Eörsi l'a déjà souligné dans sa description du Christ du Maître  de sainte Véronique. Il est alors temps de quitter le monde des légendes et du théâtre pour aborder les discours théologiques qui peuvent émailler ça et là la confection de ces images.
                 
                                     Nous avons déjà quelques points de repères qui montrent, de la part des peintres ou des commanditaires, des recherches de références aux textes bibliques de la nouvelle représentation de la relique de la Face recueillie par Véronique : la construction du visage du Christ , la présence des Séraphins (anges à trois paires d'ailes) qui sont les seuls à voir la Face de Dieu,...Nous allons retrouver tout cela en détail dans les formations iconographiques plus conformes  aux textes bibliques.

                                         Avant d'aborder de nouvelles formations il me reste à présenter  deux autres variantes mineures. En considérant la prétendue relique de Rome - si elle n'est pas déjà à la source de la formation iconographique sculptée d'Ecouis et partiellement ou totalement des autres représentations que j'ai appelées "Véronique reliquaire" - elle serait à l'origine de deux versions assez voisines. L'une montrerait le linge portant la Face, soutenu par deux anges, et la seconde la même disposition autour du linge flanqué de Saint Pierre et Saint Paul en tenants héraldiques [L.Réau, 1957, op.cit., p.19. Je n'ai pas trouvé des représentations de ces formes signalées par L.Réau];

                                        Avec le XVI° siècle le Moyen Âge va se terminer (date théorique de 1560) et si la Renaissance italienne a déjà largement conquis certains foyers artistiques et les cours européennes, les auteurs remarquent que le XV° siècle, même en Italie, est largement gothique.

                                         A partir de ces exposés historiques à partir du matériel scientifique disponible auquel j'ai déjà apporté quelques ouvertures et avancements, nous comprenons bien que les futures représentations de la Véronique seront guidées par d'autres préoccupations et par d'autres enjeux que ceux de la conformité aux sources apocryphes ou à une certaine "idée" de la réalité. C'est pourquoi la troisième grande famille de représentation de "La Véronique Allégorique" est en devenir. Il faut attendre les avancées  de l'étude qui suit pour la voir apparaître peu à peu et s'installer aux côtés des autres représentations de La Véronique, ouvrant l'éventail des choix possibles de représentations dans la culture occidentale depuis la période baroque jusqu'à nos jours.


                    Une bifurcation des thèmes peints 
                               La Véronique de Jacopo Pontormo.

                              En 1515 le monde occidental vit deux crises importantes : les prétentions politiques de François 1° à l'Empire au duché de Milan (bataille de Marignan) et les prémices des troubles importants au sein de l'Eglise [Dans les provinces les écarts aux règles monastiques sont très sensibles depuis au moins la seconde moitié du XV° siècle jusqu'aux date théoriquement admises du début de réformes (réformes protestante, anglicane et catholique) dans la seconde décennie du XVI° siècle. Pour curiosité locale : Augustin Grimaldi (1479-1532) évêque de Grasse et futur seigneur de Monaco - après l'assassinat de son frère Augustin - entreprit une réforme dans son évêché à partir du monastère des îles de Lérins (1511-1513) au large de Cannes. Pour plus détails voir G.Grinda, "Augustin Grimaldi témoin et acteur de l'histoire méditerranéenne à l'époque de Charles Quint". Dans, "Annales Monégasques". Monaco, 1978, N°2, p.103 à 140] qui annoncent les réformes catholique et protestante (1517-1570) avec en point d'orgue le Concile de Trente (1545-1563) qui confirme la Vulgate de Saint-Jérôme an tant que seule Bible et texte de référence pour l'orthodoxie du culte et la confection et usage des images pieuses [Saint Jérôme (environ 347-419/420) fut le premier traducteur de Bible hébraïque en latin. Les textes apocryphes fleurissent de toutes parts pendant la période mérovingienne. C'est Charlemagne qui impose la première fois le texte de Saint Jérôme comme seul texte officiel de l'Empire pour arbitrage de tous les débats théologiques et leurs iconographies (VII° concile oecuménique - 787). Les hagiographes poursuivent pourtant leurs oeuvres. Les dogmes continuèrent à faire l'objet de thèses dans les conciles et - avec l'arrivée de l'imprimerie en caractères mobiles (fin des incunables tabellaires à la fin du XV° siècle) - l'église se retrouva au XVI° siècle dans une situation de crise  assez voisine de ce qu'elle pouvait être avant Cahrlemagne. La traduction de la Bilble de Saint-Jérôme (La Vulgate) fut mise en cause. En 1532 une nouvelle traduction fut faite par Antonio Brucioli - Cf. pour l'exposé carolingien : A.Kleinclausz, "Charlemagne". Paris, 1985, p.21]. La Contre Réforme (terme inventé au XIX° siècle) confirmera le culte des saints et des images ["Après l'humanisme, la religion est la plus grande cause de malentendus à propos de la Renaissance...Mais si la Réforme apparaît facilement comme un prolongement religieux de la Renaissance, elle était peu favorable à l'art...Il n'y a pas d'art de la Réforme. Inversement, la Contre Réforme voulut faire de l'art un instrument de sa propagande. Le résultat fut dramatique...Des crises d'iconoclasmes détruisirent les églises, les peintures et les sculptures dans certaines régions de France, de l'Empire, aux Pays-Bas...Il y eut un art de la Contre Réforme, dont les réalisations furent essentielles dans le passage de la Renaissance au baroque" B.Jestaz, "L'art de la Renaissance". Paris, 1984, p.21], la présence du Christ dans l'Eucharistie [Dans la célébration de la messe (église catholique) le sacrement de l'Eucharistie transforme réellement et substantiellement le pain et le vin en corps et sang du Christ]. Les premières éditions du catéchisme datent de 1568 et 1570, le célibat des prêtres est confirmé.

                                     Nous sommes en 1515. A l'occasion d'un déplacement du pape à Florence, Jacopo Pontormo reçoit la commande d'une fresque pour la chapelle Santa -Maria-Novella [D.Krystof, "Pontormo". Köln, 1998, p.21]. Cette peinture est exécutée dans la lunette créée par la rencontre d'une voûte en berceau et d'un mur plat, à l'intérieur de l'édifice. Des inscriptions latines précisent les intentions pieuses de la représentation qu'on appelle aujourd'hui "La Véronique". Je conclurai ce paragraphe par la traduction de ces phrases latines.

                                        La scène, éclairée d'une source lumineuse invisible en trois quart de face à droite, s'articule à partir d'un dais en tissu peint ouvert sur deux gros pilastres également peints en trompe l'oeil. Les ombres portées ne laissent aucun doute  sur la provenance  de la lumière par le trois quart  face à droite et les pots à feu portés par les putti - juchés sur les tailloirs des pilastres en écartant le drapé du dais qui se poursuit au-delà de l'intrados de la clef de voûte architecturale du berceau - ne semblent rien éclairer du tout. L'image d'une femme nimbée  et agenouillée sur une nuée est placée en avant de ce dais. Elle brandit à sa droite, au bout de ses deux bras, en figure vrillée et gironnée, un linge en quart de profil sur lequel on devine une tête d'homme barbu, esquissé en grisaille : a-t-il les yeux fermés ou ouverts ? La tête n'est point couronnée et les traits suivent aussi le plissé du tissu. Au-dessus, trois séraphins (têtes d'anges ailés à seulement deux ailes) accompagnent le sommet de la composition. En résumé, nous aurions cinq anges en introduction de la présentation de cette sainte femme brandissant la Face divine (Véronique n'est pas une sainte, c'est une servante juive). 
                       Visiblement La Véronique reliquaire est transposée dans une mise en scène tout à fait inconnue jusqu'à présent et La Véronique Allégorique agenouillée devant le Christ montant au  calvaire  est débarrassée de son rapport direct au Christ vivant et souffrant sous le poids de la Croix.

                        La scène peinte dévoilée par l'ouverture du rideau est une scénographie religieuse mise en place dans la période maniériste (XVI° siècle) et qui triomphera dans l'art baroque. La projection en avant de la scène par les deux gros pilastres qui font également le lien avec le fond de la composition en volume arrondi du dais en tissu lui-même en avant du mur - avec l'insertion au milieu de cette femme qui se déplace sur son nuage - permet au peintre de placer la figure bien en avant du mur réel de la chapelle, dans une sorte de vacuité aérienne et de donner là le véritable effet d'une figure qui flotte dans l'espace réel à notre rencontre. Ce serait là le discours plastique de l'art maniériste se mettant en place. Il pourrait alors facilement se conjuguer avec le discours théologique qui suit.
                           Les anges qui dévoilent  un univers clos, protégé, issu d'un espace, en fait au-dessus de la voûte architecturale et invisible, sont directement inspirés des saintes écritures "Car le fils de l'homme doit venir dans la gloire de son père avec ses anges et il rendra à chacun selon ses oeuvres" (Mt 16.27).
                           Les anges portent des pots enflammés. Ce thème - qui deviendra spécifique à l'ornementation architecturale classique française - est quasi inexistant au moment où Pontormo l'emploie. La thématique du feu et de la lumière ne sont pas fortuits, "Savoir que le Christ  souffrirait et que ressuscité le premier d'entre les morts, il annoncerait la lumière au peuple et aux nations" (Ac 26.23), "Tout homme sera salé de feu" (Mc.9.49), "Dans son immense miséricorde, tu ne les abandonneras pas au désert, et la colonne de  nuée ne cessa point de la guider le jour dans leur chemin, ni la colonne de feu de les éclairer la nuit dans le chemin qu'ils avaient à suivre" (Né 9.19), "La nuée de l'éternel était le jour sur le tabernacle ; et la nuit, il y avait un feu, aux yeux de toute la maison d'Israël, pendant toutes leurs démarches" (Ex 40.38).
                             Le dais architecturé peut-il être une mise en place ornementale et symboliste ou être directement inspiré par ce texte de l'Exode "Moïse ne pouvait pas entrer dans la tente d'assignation parce que la nuée restait  dessus, et la gloire de l'Eternel remplissait le tabernacle" (Ex 45.38). Michel Gourguès donne une synthèse "...les trois synoptiques rapportent que lorsque Jésus mourut (avant Luc, aussitôt après chez Mt et Mc), le voile du temple se déchira...désormais l'économie ancienne représentée par le temple est dépassée et une nouvelle ère commence où tous ont accès auprès de Dieu, contrairement à ce qui se passait au temple où seul le grand prêtre pouvait une fois l'an pénétrer derrière le voile...Grâce à lui, les uns comme les autres, juifs ou païens, nous avons accès auprès du père (Ep.2, 16, 18)" [M.Gourguès, "Jésus devant sa passion et sa mort". Dans, "Cahiers - Evangile. Service biblique évangile et vie - 60° année - Nouvelle série - N°30 - Novembre 1979", p.16]. Ce montage peut également être perçu comme une permanence des apocryphes puisque  tant dans l'évangile de Pierre "A cet instant, le voile du temple se déchira en deux" (6-20), que dans les Actes de Pilate "Et le voile du temple se déchira par le milieu" (11.1) cette version du voile est présente [Pour cette recherche j'ai utilisé F.Quéré, "Evangiles apocryphes. Réunies et présentées par France Quéré". Paris, 1983, p.121 et 139].
                                  La question de l'apparition de Jésus sur un nuage (le nuage sur lequel Véronique nimbée est agenouillée) est complémentaire du passage de l'Exode déjà cité mais il est aussi une référence directe à l'ascension au Mont des Oliviers pour des promesses de retour au jour du jugement dernier . L'hypothèse mérite d'être signalée [La synthèse de Xavier Léon-Dufour est "Présente dans les théophanies, la gloire est d'ordinaire accompagnée par la nuée qui la voile et à la fois la manifeste..." Les Gloires " désignent les anges célestes (2P 2,10; Jude 8)" cf : X.Léon-Dufour "Dictionnaire du Nouveau Testament". Paris, 1975, p.276] "...il se sépara d'eux et s'éleva lentement dans le ciel jusqu'à ce qu'un nuage blanc l'ai caché à leurs yeux" (Lc 21, 50.51), "Alors on verra le fils de l'homme venant sur une nuée avec puissance et une grande gloire" (Lc 21.27), "Ce Jésus qui, du milieu de vous, a été enlevé au ciel, viendra de la même manière ici-bas dans toute sa gloire le jour  du jugement, comme vous l'avez vu aujourd'hui aller au ciel triomphalement" (Ac 1, 10-11), "Désormais  vous verrez le fils de l'homme assis à la droite de la puissance de Dieu, et venant sur les nuées du ciel" (Mt 26,64), "La nuée divine manifestait la présence du seigneur sur le tabernacle du désert" (Ex 40.35).
                                  La présentation de la face de Jésus n'échapperait pas non plus à une certaine dynamique dans le même ordre d'idée. Les trois textes de synthèse de Xavier Léon-Dufour [X.Léon-Dufour, 1975, op.cit., p.253] sur la Face dans le Nouveau Testament sont clairs. Prenons seulement le second "La face de Dieu, contemplée par les anges, mais que nul homme n'a jamais vue, c'est Dieu même se tournant vers l'homme. Elle a été actualisée en ce monde par Jésus, en qui le père peut être vu; anticipé dans la glorieuse transfiguration de Jésus, mais bafouée, voilée défigurée ici-bas...Mt 18,10 - Ex 33, 18-23; Is 6,5, Jn 1, 18; 5, 37. ..."....

                                     Nous comprenons alors que la représentation que donne Pontormo de La Véronique est une interprétation analogique qui ramène l'idée de La Véronique à des sources bibliques et Véronique (elle-même) à une sainte venue du paradis  (de la Jérusalem Céleste) porter l'empreinte de la figure que seuls les anges ont pu voir.
                                                Le thème apocryphe du XIII° siècle - et tout simplement théâtral aux XIV et XV° siècles - de La Véronique recueillant la Face de Jésus couronnée d'épines avant son supplice, est ici repris pour une iconographie représentant une sainte brandissant la sainte Face (non couronnée et non stigmatisée [La face de Jésus ressuscité dans la scène du Noli Me Tangere (la rencontre avec Marie-Madeleine) est une face d'homme ordinaire (Je XX, 11-18 - Mt XXVIII, 9-10)]) déformée par les plis du linge, lui-même support présenté de biais et en contre-jour (en suivant la direction générale de la lumière). Cette scène est présentée par cinq anges qui dévoilent en quelque sorte un univers dans un dais céleste et inaccessible aux humains.
                                      Quelque soit la question du débat iconographique dans le champ de la culture maniériste (dégageant l'iconographie du Moyen Âge vers une iconographie "renaissante" et "baroque"), nous assistons ici à une véritable réorientation de l'iconographie apocryphe vers une iconographie à références bibliques directes et précises en avant coureur de la Réforme  Catholique à l'origine du Tribunal de l'Inquisition, créé en 1542 [Les évènements se précipitent dans la décennie précédant le Concile de Trente:
1540, le pape Paul III donne son approbation à la Compagnie de Jésus (Jésuites) fondée par Ignace de Loyola / 1543, création de la Congrégation de l'Index //1548, le Parlement de Paris interdit la représentation théâtrale des Mystères], et du contrôle de la conformité de la Bible de Saint-Jérôme et des dogmes de l'Eglise des images peintes commandées par le clergé, haut et bas. Mais le discours sur cette image ne s'arrête pas là. Il est plus incisif puisque d'une part il prend à témoins la "Face" du Christ, et c'est là une véritable nouveauté [en dehors du champ probable mais non avéré, du culte d'une relique à Rome], et d'autre part il confirme déjà le mystère de l'Eucharistie. et, ce sont les inscriptions peintes autour de l'image qui nous le confirment. Sous la nuée nous lisons "Elle est le vrai salut" (La Face), sur le pilastre de gauche "Voici le tabernacle de Dieu". Le tabernacle c'est l'armoire de l'autel qui reçoit le ciboire avec les hosties, c'est-à-dire les instruments du sacrement de l'Eucharistie par lequel le pain et le vin se transforment réellement et substantiellement en corps et sang de Jésus-Christ (La Face).
                               Cependant selon Jean, le Fils a vu Dieu (cf, voir Jésus et voir Dieu). En fin de compte, la Face à elle toute seule commence à devenir une image symbolique de l'Eucharistie. Le tabernacle en s'ouvrant dans l'espace de la chapelle est véritablement l'Eucharistie du cérémonial de La Messe, voire le temps même de l'élévation où le prêtre élève l'hostie consacrée, et le calice [ Pour le lecteur averti de l'iconographie religieuse de cette période historique, il est évident que je ne fais ici aucune allusion à l'iconographie de la Messe de Saint-Grégoire. Cette iconographie très précise d'un Christ émergeant à mi-corps de la cuve et entouré des symboles de la Passion - en référence à Saint Grégoire pape en 590 et reconnu pour avoir été le créateur du cérémonial de la messe - est en fait une formation iconographique élaborée à partir d'une icône byzantine offerte par Grégoire le Grand à la basilique Sainte-Croix de Jérusalem. Arrivant plus précocement dans la statuaire (Pisano) que dans la peinture, la transmission de l'icône due à une gravure d'Israël Melchen (contemporain de Dürer - Nuremberg 1471-1528) n'arrive dans la peinture méditerranéenne (Ligurie) que vers 1460 : cf. j;Boccador, "Statuaire médiévale en France de 1400 à 1530". Paris, 1974, vol.2, p.238 ///L.Castelfranchi-Végas, "Italie et Flandres dans la peinture du XV° siècle". Milan, 1983, Paris, 1984, p.239].

               Une nouvelle iconographie : La Véronique ou la Sainte-Face ?

                         "Nul n'a jamais vu Dieu : le fils unique, qui est tourné vers le sein du père, lui, l'a fait connaître" (Jn 1,18).
                            La question est alors posée : quelle est la source ou quel est le moyen d'accès à cette connaissance du Dieu invisible ? Une première réponse est donnée  "Le fils unique...l'a fait connaître". Une nouvelle synthèse de Xavier Léon-Dufour de "Face" à "Voir" est encore utile [X.Léon-Dufour, 1975, op.cit., p.253 à 549] : " Le croyant, au visage découvert, réfléchit la gloire de Dieu qui est sur la face du Christ, en attendant de voir Dieu directement face à face." et "Voir Dieu, tel est le plaisir de l'homme que les Grecs ont si fort souligné...Dieu est invisible, nul ne l'a jamais vu, c'est voir le Père...." [Le monde byzantin à l'équivalent de cette position par le théologien Damascène qui affirma que " Dieu, incontournable, ne peut être représenté, mais que, puisqu'il est incorporé dans le  Christ, on peut le faire figurer sous cette forme" cf. E.Coche de la Ferté, 1981, op.cit., p.71].
                                  Nous entrons dans le vif du sujet : il s'agit de voir, d'accéder à la connaissance de ce Dieu (le Père) invisible (la Foi) par la voie ouverte par le Fils : la Sainte-Trinité est une image en formation. Le représentation de ce Dieu et l'accès à cette représentation est un débat dans lequel nous entrons suivant les orientations données par les images rencontrées. En conséquence, nous devons faire le point sur les représentations que nous avons déjà eues avant d'analyser l'évolution du thème.

                               - En première représentation La Véronique (La vraie icône  qui est devenue un personnage) part avec une toile pour faire peindre le portrait de son maître. En chemin celui-ci apparaît et il imprime son visage  sur la toile. Cette iconographie est purement littéraire puisqu'il n'existe aucune image connue de cette première version rapportée par l'archevêque de Gênes, aux sources apocryphes dans la mouvance de la pensée scolastique.
                                       - En seconde représentation, La Véronique d'Ecouis est une sculpture - quasi contemporaines des textes des hagiographes - de La Véronique brandissant un suaire sur lequel est imprimée la face d'un Christ mort non couronnée, non stigmatisée.
                                         - En troisième représentation une version peinte qui est une image issue du passage du texte de Jacques de Voragine dans le théâtre. C'est-à-dire que c'est par la vie du verbe passé dans le monde de la représentation qu'une première iconographie peinte de La Véronique prend forme et se fixe dans La Montée au Calvaire. Cette iconographie - du verbe à l'image et de l'image au verbe - se retrouve dans les stations du Chemin de Croix, tant dans son aspect matérialisé en architecture et peinture que dans sa littérature [Si le lecteur veut se rendre compte de ce qu'a pu être un célèbre Chemin de Croix au XVIII° siècle en Provence Orientale, il peut se rendre à Vence et voir les stations du calvaire. Pour un compte rendu historique se reporter à la page sur les "Primitifs Niçois - Les chapelles peintes des Alpes Maritimes...." sur ce blog, page au mois de mars 2012, et descendre jusque dans la seconde partie du "mouvement de fermement des chapelles..."]. La seule Sainte-Face permanente de cette iconographie est celle du Christ plié sous la croix  au détriment de la face recueillie sur le voile, le suaire ou le linge. La Face peut aussi être peinte sur le linge, comme un sorte de rappel ou de lien avec La Véronique reliquaire.
                                             - En quatrième représentation  La Véronique Reliquaire se différencie de La Véronique sculptée d'Ecouis par un discours plus élaboré que le simple recueil d'un suaire de la Face en relique d'un homme mort. Le Christ de  La Véronique reliquaire en version peinte a déjà les yeux ouverts et cela suffit à replacer la formation de cette image  dans la filiation de La Légende écrite et de poser le discours sur l'image à partir du passage direct de l'écriture à la représentation, dans une autre voie, abrégée ou complémentaire, qui amorce le développement du passage du verbe au corps.
                                            - en cinquième représentation, La Véronique de Pontormo est une sainte agenouillée sur des nuées, surgissant d'un voile ouvert depuis un tabernacle jusque vers l'extérieur d'une chapelle papale. La sainte Face est brandie sur un linge de profil tendu à bout de bras par Véronique agenouillée et nimbée. La face de Jésus est à la droite de la sainte et les anges ouvrent le rideau d'où Véronique jaillit sur son nuage. C'est un tabernacle et c'est à la Face que nous devons le vrai salut, nous disent les inscriptions peintes sur l'image. La sainte Face est esquissée et elle devient le sujet principal de la composition par les phrases latines peintes - en complément des textes bibliques et référence pour la composition globale de l'image - qui l'orientent résolument vers une lecture eucharistique.

                  - Une sixième représentation : La Sainte-Face...
  
                                    Au XVII° siècle un Dominicain, Antonin, Pierre Thomas (1653-1701) passa toute sa vie au couvent de Dinan après une formation à Moralaix. En 694 il publia  chez L.Guérin "La dévotion à la Sainte-Véronique, ou la réparation des ignominies & des outrages faits à la sacrée face de Notre Seigneur Jésus Christ, représentée dans le voile de Sainte-Bérénice". Le livre s'adressait  à Messieurs de la très dévote confrairie (sic) de la Sacrée-Véronique établie à Nantes. Une seconde édition fut publiée en 1889 sous le nom de "La sainte Face d'après un auteur du XVII° s. La dévotion à la Sainte-Véronique...par le R.P. Antonin Thomas (Tours oratoire de la Sainte-Face)". Cette seconde publication est précédée d'un historique de l'abbé P.Giquello, prêtre de la Sainte-Face , ayant pour thème principal la Confrérie établie à Nantes en 1413 [A.Duval, "THOMAS (Antonin; pseudonyme de Drugeaon, Pierre).". Dans, "Dictionnaire de la spiritualité, Ascétique et Mystique, Doctrine de l'hisoire, fondé par M.Viller, F.Cavallera, J. de Guibert et A.Rayez, continué par A.Derville, P.Lamarche et A.Solignac de la Compagnie de Jésus avec le concours d'un grand nombre de collaborateurs". Paris, 1991, vol.15, p.891].
                                     Au XX° siècle deux bénédictins publient une vie des saints [Rr.PP. Baudot et Chaussin, O.S.B., "Vie des Saints et des Bienheureux selon l'ordre du calendrier avec l'histoire des fêtes". Paris, 1936, Tome II, p.86]. Ils y assimilent La Véronique au personnage de Sainte-Véronique (que j'ai évoquée en tout début de chapitre dans la série des Véroniques) : "Moyen Âge - Il y eut à Rome une sainte Face...cependant  des documents antérieurs au XI° s. n'en parlent pas. Il y eut cette sainte Face des reproductions répandues en Europe, par exemple à Montreuil, ancien diocèse de Laon, à Genève, etc..." [Pour la représentation de Laon, se reporter aussi à l'article de G.Grabar, cité en préambule de ce cette étude. Cette représentation serait celle de l'icône russe du VIII° s. envoyée à Rome] et je n'en sais guère plus car si je m'aventure  vers d'autres repères que donnent ces auteurs j'en arrive à des estimations de datations peu compatibles avec les données de la recherche moderne (exemple : les tapisseries du XII° s. qui représenteraient des images de Véroniques ou de la sainte Face) [Pour une vérification simple - en dehors d'autre documents également sérieux - de l'état de la tapisserie au XII° siècle consulter M.Durliat, "L'art roman". Paris, 1982, p.202-203 avec iconographies aux pages suivantes].
                                              Il est clair que la représentation de la sainte Face est l'objet d'une nouvelle formation iconographique. Elle s'enracine  dans la tradition des reliques  et se transmets jusqu'au XX° siècle, parallèlement à l'usage des images de la Véronique agenouillée devant le Christ montant au calvaire.

                        De Gréco à Philippe de Champaigne : la Sainte-Face ou La Véronique de la Contre Réforme.
        La mise en place progressive d'une figure d'allégorie


                            Gréco (Candie(Crête) 1541- Tolède 1614)
[Pour la bibliographie de Gréco j'utilise les dates données par E.Emiliani, "Le Gréco. Les plus grands peintres  - Collection Larousse". Paris, 1967, p.6 et suivantes. Gréco arrive à Venise vers 1560 et à Rome vers 1570. En 1572 Gréco aurait déjà quitté Rome pour un retour à Venise avant de se rendre en Espagne. Pour certains auteurs la formation de Gréco auprès de Titien ne ferait aucun doute (cf. P. Guinard "Les peintres espagnols". Paris, 1967, p. 131) si on en croit, par ailleurs, une lettre de recommandation de Titien pour le roi Philippe II. Il serait également certain que Gréco aurait quitté l'Italie pour Tolède en 1577, mais il n'y travaille pas pour le roi. En 1577 il travaille à la décoration peinte et sculptée de l'église San Domingo le Antiguo. A partir de là travaillera principalement pour des institutions religieuses et une clientèle privée et de hauts dignitaires ecclésiastiques de la région de Tolède.
         D'autres auteurs, comme B.Jestaz, donnent l'arrivée de Gréco "vers 1566", datation plus en accord avec la date de la lettre de recommandation de Titien (cf. B.Jestaz, 1984, op.cit., p.125).
           Ailleur, l'accompte que reçoit Gréco le 2 juillet 1577 pour un tableau commandé par le chapitre de la cathédrale de Tolède "L'espolio ou le Partage de la Tunniqe du Christ" est le premier document attestant la présence du peintre en Espagne (cf. J.Baticle et A.Roy, "L'art baroque en Espagne et en Europe septentrionale". Genève, non daté, p.36). 
            Pour d'autres détails facilement accessibles : M.Scholz-Hänsel, "Le Gréco". Köln, 2004, p.33 à 38]

                            La vie de Gréco et son activité de peintre s'articulent directement avec le Concile de Trente et les effets post trentiens de la Contre Réforme. Sainte Thérèse d'Avila (Thérèse de Jésus - 1515-1582) avec ses extases, ses ravissements, ses lévitations, l'oeuvre de Jean de la Croix (1542-1591), les mystiques de la nuit communes aux uns et aux autres, les oratoriens en Italie puis en France, marquent profondément l'esprit des courants intellectuels et artistiques qui vont contester ou adhérer pleinement au maniérisme arrivant à pleine maturité dans la seconde moitié du XVI° siècle, avec des ancrages tenaces et encore très sensibles dans la peinture internationale du premier quart du XVII° siècle. En effet, le maniérisme qu'on croit avoir été balayé avec le caravagisme s'intègre plus exactement  - jusqu'à disparaître selon les cas - au ténébrisme (Caravage, Gentilleschi), au clair-obscur (Tintoret, Rembrandt), aux nuits (La Tour) et la peinture mystique, religieuse, en est bien sûr imprégnée ou s'en dégage. Toutefois, dans ce contexte maniéro-religieux il faut se garder de voir les nouveautés spirituelles et esthétiques comme des conséquences immédiates des théories qui, en fait, s'installent dans des contextes historico-culturels beaucoup plus complexes. Les peintres ont travaillé en s'y installant ou en s'en écartant : c'est le cas de Gréco que beaucoup d'auteurs donnent pour "hors norme" et Bertrand Jestaz va jusqu'à écrire "Il n'appartient en propre ni à l'Espagne ni à la Renaissance" [B.Jestaz, 1984, op.cit., p.126] alors Paul Guinard serait tenté de le ramener dans le contexte des mystiques nocturnes du Carmel de Sainte Thérèse d'Avila [P.Guinard, 1967, op.cit., p. 148 et 149].
                               Telle est la question du ténébrisme qui se répand dans toute l'Europe au tout début du XVII° siècle, très largement porté et vivifié par les mystiques de la nuit écloses dans l'univers carmélitain après une progression tout au long du XVI° siècle, depuis le sfumato de Léonard de Vinci et d'autres courants par d'autres peintres dont Titien fut aussi un représentant avec des peintures mystiques comme "La Madeleine" de la Galerie Pitti à Florence (1520). Le maniérisme n'arrive à Venise que vers 1538, introduit par Vasari et Salviati, mais il fait école même auprès de Titien qui le transmet à ses élèves. Gréco hérite bien sûr de ces courants. Les mystiques des nuits ne feront que renforcer la montée du ténébrisme d'où Gréco, dans l'ambiance du Carmel en Espagne, extraira sa propre voie [Pour un véritable discours sur la peinture de Gréco et ses structures de compositions par les lumières aux contrastes très marqués, voire à géométries très apparentes dans le tableau, pour lesquelles une influence, bien qu'incertaine de Luca Cambiaso alors présent à la cour de Philippe II de 1582 à sa mort en 1585, ne peut pas être écartée, il faudrait remonter à la peinture d'atmosphère vénitienne et à ses premiers utilisateurs comme les Bellini et surtout Giorgione - maître de Titien et de Sébastiano del Piombo - qui est l'inventeur du tableau moderne structuré par ses lumières, ses couleurs, en véritable tableau "abstrait" indépendant des anecdotes qui ne servent qu'au prétexte à la peinture ("La Tempesta", "Les Trois Philosophes"), jusqu'à des combinaisons  dites "maniérisme lombardo vénitien" chez Caravage. Recherches qui tendent maintenant à minimiser les théories "réalistes" prêtées à Caravage et à remettre à sa juste place le "ténébrisme" au regard des contextes religieux et idéologiques qui dominèrent l'Europe dans la première moitié du XVII° s. et qui étaient directement responsables de nombreux courants picturaux en clairs-obscurs et nuits, par delà la permanences des effets "maniéristes" qui alimentèrent pendant longtemps les diffusions des styles. On peut consulter : F.Bardon, "Caravage ou l'expéreince dela matière - Une publication  de l'université de Poitiers - Lettres et Sciences Humaines". Paris, 1978; 
     Je fais un ajout à ces observations à cause de la publication récente d'un n° article consacré à Caravage, par la revue Histoire de l'Art. Selon mon point de vue les thèses en "caravagisme" développées par les articles récemment publiés dans cette revue ne vont pas dans un sens de progrès dans la connaissance du phénomène historique de la peinture, mais vers son contraire, à contresens de certaines avancées très fines développées par un précédent n° de la même revue consacrée à la même étude, et notamment les observations de Pierre Rosenberg qui demeurent les plus pertinentes à ce jour, à mon sens, et les plus intéressantes depuis celles d'Anthony Blunt qui, précisément, détachait déjà La Tour de Caravage, ne confondant pas les thèmes et les techniques picturales. En effet, les thèmes pouvaient très bien être diffusés par des gravures ou autre images comme les cartes à jouer et autres scènes imprimées. Mais les historiens d'art savent rarement peindre, composer un tableau, et cela est souvent gênant, et ce n'est pas dans les écoles d'art contemporaines qu'on va leur apprendre, d'où ces thèses faciles et fausses d'alignement quasi unilatéral des peintres du clair-obscur au XVII° siècle à Caravage mais nobles servantes les idéologies "réalistes" populistes du XX° siècle].
                                    Gréco est de formation byzantine. Il appartient à ces artistes "fabricants d'icônes". Héritier du mandylion byzantin il rencontre La Véronique romaine dans le contexte de la Contre Réforme et de la très catholique Espagne à la frénésie religieuse contrôlée de très près par la Sainte Inquisition.
                                        A partir de 1577, Gréco est en Espagne. Il est employé par les dominicains au couvent San Domingo el Antiguo. Le rôle des Dominicains dans la Réforme catholique en Espagne est important car c'est par un des leurs, François de Vitoria (1492-1540), que les aspects les plus décriés de la scolastique furent mis en cause et finalement rejetés. Ce courant  fut influent au Concile de Trente par l'importance de la délégation dominicaine espagnole présente aux débats. En revanche, un interdit espagnol de la Bible en 1559 - pendant le concile - en attendant la confirmation de la Vulgate - favorisera  la réintroduction et la diffusion de textes religieux apocryphes. Aux côtés des Epitres de Saint-Jérôme, de l'Imitation de la Vie de Jésus Christ, la Légende Dorée de Jacques de Voragine connut une très grande vogue.
                                 Juste après le Concile de Trente l'Espagne est le théâtre de la grande réforme du Carmel par Sainte Thérèse d'Avila, Saint Jean de la Croix et Elizabeth de la Trinité. Ce courant de réforme carmélitain qui bouleversera le climat culturel de l'Espagne dans la seconde moitié du XVI° siècle [Lorsque Gréco arrive en Italie il ne se lie pas à l'église orthodoxe  (contrairement à son frère).Il semble que ce soit à cette période, vers 1571, qu'il se convertit au catholicisme romain (cf. N.Hadjinicolaou, "De la Crête à Rome par Venise". Dans, "Dossier de l'Art - Gréco le premier modernisme". N° 72, décembre 2000, p.21).
               Gréco signalé en Espagne à partir de 1577, s'installe à Tolède au sud d'Avila, dans le royaume de Castille qui est le théâtre d'un mouvement catholique très important par Thérèse d'Avila qui entreprend la réforme du Carmel. En 1562, un an avant la fin du Concile de Trente (4 décembre 1563), Thérèse fonde à Avila son premier monastère Saint-Joseph. De 1567 à 1571 suivent les fondations des Carmels de Médina del Campo, Malagon, Vallaloïd, Tolède, Pastram, Salamanque et Alba de Tormes. De 1574 à 1576, Thérèse ajoute les Carmels de Ségovie, Béas, Séville et Caravaca (cf. J.Pérez, "Thérèse d'Avila". Paris, 2007, p.87)], et qui marqua profondément celui de la France au XVII° siècle, ne rejeta pas la pensée scolastique  puisque qu'Anne de Jésus du Carmel déchaussé (le Carmel réformé) de Grenade demanda à Jean de la Croix d'effectuer une recherche éclairée sur les états mystiques au moyen de la scolastique [J.Pérez, 2007, op.cit., p. 277. Jean de la Croix écrivait "Et j'espère ainsi que, encore qu'on écrive ici quelques points de théologie scolastique  propos des rapports intérieurs de l'âme avec Dieu, il ne sera pas vain d'avoir parlé un peu simplement de l'esprit de cette manière ; car, encore que Votre Révérence  manque de l'exercice de la théologie scolastique, par lequel on prétend les vérités divines, point ne lui manque celui de la mystique, qui se sait par amour, et où non seulement on les sait, mais conjointement on les goûte..." Cf. Jean de la Croix, "Explication des chansons qui traitent de l'exercice d'amour entre l'âme et son époux le Christ où sont touchés et expliqués quelques points et effets d'oraison à la demande de la mère Anne de Jésus Prieur des déchaussés à Saint-Joseph de Grenade année 1584. Dans "Nuit obscure - Cantique spirituel". Edition bilingue, traduction de Jacques Ancet, Paris, 1997, p.181 et 182]

                           La première version peinte en Espagne d'une des deux Véroniques que je présente ici (Gréco est connu pour être, entre autre, un peintre de Véroniques) date de son installation dans ce nouveau pays. Entre 1577 et 1580 il compose une Véronique dans la plus pure filiation de La Véronique reliquaire. Cette composition aux effets de matières directement issus des leçons de Titien et mis en valeur par des éclairages à la Tintoret, est déjà à la Gréco avec cette grande tache blanche qui s'insère violemment dans les gris et les effets de carnations un peu morbides. C'est une démonstration du brio du peintre qui emprunte à l'icône byzantine et à la tradition grecque autant qu'aux Vénitiens.
            La Véronique est même d'un maniérisme florentin avoué avec sa posture vrillée comme celle déjà vue de Pontormo et ses doigts en pince à gauche (en regardant le tableau) et à droite en groupe caractéristique d'un annulaire collé au majeur et auriculaire relevé. La posture vrillée est complétée par une tête baissée en quart de profil au regard tourné vers l'angle inférieur droit du tableau. Ce regard ne franchit pas l'espace intérieur du tableau, cela est réservé au regard du Christ. Le front de Véronique reçoit la lumière qui vient d'en haut à gauche. Cette lumière est identique à celle qui se porte sur le linge et sur la Face de Jésus dans une sorte d'intégration ou d'assimilation entre corps réels (Véronique et mandylion) et corps fictif de l'image recueillie sur un carré d'étoffe entouré de bordures rouges en rubans plats se recoupant dans les angles et deux filets intérieurs largement espacés, à la façon d'un mouchoir moderne.
              Tout le fond de la composition est noyé dans le noir. La Véronique sort plastiquement et progressivement de cette obscurité par le jeu des gris et des blancs de son voile transparent porté à la manière d'une mantille de dentelle. La chevelure est bien tirée en arrière, les traits du visage sont fins et délicats, donnant plus l'impression d'une femme de la bonne société que d'une servante. Simplement valorisée par sa mantille Véronique n'est pas nimbée. Sa tête est décalée vers l'angle supérieur gauche du tableau, laissant à la tête du Christ une position allant vers un angle inférieur droit de façon à ce que les deux têtes occupent les angles opposés d'une rectangle déployé en bas du tableau de gauche à droite, plus large, et décalé vers la droite en regardant le tableau. Le rectangle de composition du suaire recoupe et se superpose de façon décalée au premier rectangle de composition des têtes : ce sont là des images imbriquées en "L".
                    La face peinte sur le mouchoir, totalement séparée du corps, en léger profil, aux grandes oreilles repoussant à l'arrière une longue chevelure noire tombant en boucles, au front dégagé, aux yeux ouverts et à la bouche fermée dans un écrin de barbe et de moustaches en virgules divergentes, est strictement une une image d'icône. Le peintre maniérise simplement un peu la chevelure en lui donnant des retombées en tentacules de la Gorgone pétrifiante de l'Antiquité [qui était peinte sur les boucliers] (cela fait-il sens ou est-ce un simple trait de maniérisme et de culture antique ? Le Mandylion d'Edesse était décrit par L.Réau avec des boucles tombantes). Gréco ajoute alors une couronne d'épines et quelques gouttes de sang. La Face rayonne dans une sérénité voulue  qui fait spontanément sens et qui serait recueillie par Véronique lors de la Montée au Calvaire si la souffrance se lisait sur les traits du visage. Mais il y a peut-être là une explication théologique que je vais explorer dans l'image suivante.
                          J'en reste là de l'entrée en matière car la seconde sainte Face, pour dépouillée et pauvres qu'elle puisse paraître, n'entraîne pas moins la lecture de l'image vers une plus grande complexité dans une synthèse de plus en plus grande entre l'art du peintre et l'idée à transmettre, ce qui était loin d'être le cas avec la Véronique de Pontormo qui avait besoin d'inscriptions pour transmettre l'idée ou l'objectif de la composition.
                             Pour la clarté et l'efficacité de la démonstration je réserve la correspondance des textes à l'image de la sainte Face à la lecture de cette seconde version que voici.

                     Seconde version.

                              C'est le portrait, peint sur un linge flottant, d'un homme au visage noyé dans sa chevelure qui tombe et se confond avec sa barbe assez longue. Cette chevelure est un écrin d'où ne dépasse aucun autre détail anatomique, oreilles [pouvant faire sens dans le Carmel réformé (Carmel déchaussé) : cette absence d'écoute extérieure au profit d'une écoute intérieure entrant en communion directe avec Dieu / oraison, contemplation, transverbération et autres expériences mystiques], épaules, poitrine, etc... C'est une peinture de chef. Les yeux 
sont ouverts mais le visage n'est pas encore de face : il en léger trois quarts de profil. Avec la disparition de la représentation de Véronique, des oreilles et de la couronne d'épines, nous avançons avec le peintre vers la transformation de la première Face directement issue de l'icône byzantine.
                   En plus, il faut que le portrait soit celui de Jésus Christ conforme à l'esprit théologique dominant : grande sobriété et efficacité de l'image pour une idéologie religieuse dominée par les carmélites [Le Carmel est un ordre religieux qui emprunte son nom au mont Carmel. Ordre Mendiant (Influence de Saint Dominique) au XIII° s. C'est au XVI° s. qu'un nouveau souffle lui est donné dans l'esprit de la Contre Réforme, orientant l'iconographie religieuse vers le dépouillement des images. La mystique du Carmel s'exprime souvent dans une lyrisme affectif] voir par Elisabeth de la Trinité qui est une mystique spéculative dont la théologie tend à plus de sobriété. La Sainte Trinité [L'image doit être qu'une, indivisible, et pourtant réunir le père, le fils et les Saint-Esprit] est avancée et Jésus a trois gouttes de sang à son front. Ce sang c'est non seulement le souvenir du martyre mais c'est aussi celui de l'alliance renouvelée depuis l'Exode "Moïse prit le sang, et il le répandit sur le peuple en disant "Voici le sang de l'alliance que l'Eternel a faite selon toutes ces paroles" (Ex 24.81), qui se retrouve dans Mathieu "Afin que tombe sur vous tout le sang innocent répandu sur la terre jusqu'au sang de Zacharie fils de Barchie, que avez tué entre le temple et l'autel" (Mt 23.35), et chez Jérémie dans trois versets, "31 - Voici les jours qui viennent, dit l'Eternel, où je ferai avec la maison d'Israël et la maison de Judas une alliance nouvelle  - 32 - Non comme l'alliance que je traitais avec leurs pères. Le jour où je les saisis par la main pour les faire sortir du pays d'Egypte. Alliance qu'ils ont violée quoique je fusse leur maître - 33 - Mais voici l'alliance que je ferai avec la maison d'Israël. Après ces jours là, dit l'Eternel : je mettrai ma loi au-dedans d'eux et je l'écrirai dans leur coeur, et je serai leur Dieu, et il seront mon peuple" (Je 31, 32, 33). Les paupières ouvertes et les lèvres fermées [toutes les icônes représentent Jésus la bouche fermée] "Il a été maltraité et opprimé, et il n'a point ouvert la bouche, semblable à un agneau quon mène à la boucherie" (Es 52, 7).
                    L'exploitation de l'icône, pure, atteint ici une nouvelle limite. C'est par le nouveau montage de l'image que le lien se fait entre la tradition et la conformité au climat religieux de l'époque. En insérant un linge - vraisemblablement carré dans le sens littéral du mot grec "mandylion" - simplement nouée dans ses angles supérieurs, entre le portrait en chef et un fond noir, Gréco concilie les exigences d'une référence christique à un métier de peintre. C'est-à-dire qu'il va jouer avec ces trois composantes pour apporter un complément indispensable à l'orientation de la lecture  de la face représentée, de la nuit vers la pleine lumière. D'abord c'est le fond qui est traité. Ce fond noir, qui nous rappelle la première Véronique peinte par Gréco, renvoie peut-être maintenant à cette mystique de la nuit qui commence à dominer le climat religieux de l'Europe de la fin du XVI° siècle et de la première moitié du XVII° siècle [Gréco s'isolait comme ça pour méditer dans des lieux complètement obscurs (Carmel)], mais il reste aussi conforme aux textes bibliques par lesquels la nuit s'était installée au moment de la crucifixion "Juste avant la mort de Jésus l'obscurité se fit sur le pays tout entier" (Mc 15, 33). Ensuite c'est le linge en tons ocrés, donc plus clair, qui renvoie l'icône à la réception de la vraie icône sur le linge d'avant la crucifixion. L'anecdote Véronique est supprimée au profit de la permanence de ce linge en tant que symbole d'une vérité, d'une preuve d'authenticité bien ancrée dans les traditions iconographiques christiques [Et, comme déjà introduit, ravivé par le succès de la Légende Dorée dans l'Espagne de la Contre-Réforme] et dont on ne peut faire l'économie. D'autant plus que le peintre utilise ce linge en outil plastiques - lui-même présenté sous la forme d'un linge à trois grands plis recevant la face dans le pli du milieu, en creux ou en écrin -  pour faire arriver progressivement la lumière sur la face en un jeu imbriqué de taches issues du noir jusqu'aux teintes claires qui vont progressivement, du linge au visage, des ocres - dont les reflets bruns des cheveux - aux effets de blancs qui, bien qu'ils soient  caractéristiques de la facture de Gréco , n'en jouent pas moins ici le rôle de la lumière rayonnante de la sainte Face [le tableau structuré par la lumière tant dans l'idée que dans la forme]. Cette synthèse parfaite  entre l'art du peintre  exposé dans la première version et maintenant totalement intégré au service de l'idée pour ce rayonnement des visages qui est la caractéristique de cex qui ont vu Dieu depuis Moïse " 29 - Moïse descendit de la montagne du Sinaï...et il ne savait pas que la peau de son visage rayonnait parce qu'il avait parlé avec l'Eternel...30...et voici que la peau de son visage rayonnait, et ils craignaient de s'approcher  de lui " et qui se transmet  en lumière aux élus (Ex 34, 29, 30) , "Savoir que le Christ souffrirait et que, ressuscité le premier d'entre les morts, il annoncerait la lumière au peuple et aux nations" (Ac 26,23), "Vous, au contraire, vous êtes une race élue, un sacerdoce royal, une nation sainte, un peuple acquis, à la fin que vous annonciez les vertus de celui qui vous a appelé des ténèbres à son admirable lumière " (1P.9).
                               L'aspect général qui émane de l'image est également important. C'est celui de la grande sérénité de ce visage - plus profonde et plus marquée ou dramatisée que dans la première version - en effet recherché à la fois en accord et en très forte opposition avec ce que nous savons par les textes de la très grande souffrance et humiliations endurées par le Christ avant sa mort : "J'ai livré mon dos à ceux qui me frappaient, et mes joues à ceux qui m'arrachaient la barbe ; je n'ai pas dérobé mon visage aux ignominies et aux crachats" (Es 50.6), "...Lui, qui, insulté, ne rendait pas l'insulte, dans sa souffrance, ne menaçait pas, mais s'en remettait au juste juge" (1P 2.23).
                                Ainsi la nouvelle iconographie de Gréco est en place tant par le fond que par la forme. Le "verbe s'est fait chaire par l'image", dans une sorte d'unité complète entre le verbe et l'image réclamée par la sainte Trinité, voulue par l'Eucharistie, unifiant dans la même icône le Père, le fils et le Saint-Esprit par le génie et la mystique du peintre.

                                 Il es tout de même bien difficile de soutenir "Gréco créateur ex-nihilo" de cette représentation de la sainte Face. En revanche, par l'analyse, nous avons pu comprendre le cheminement de l'artiste à partir d'une des images devenue de convention, l'icône mille fois répétée tant au service des saints que du Christ, importée par Gréco du milieu byzantin jusque dans l'Espagne très catholique pour une rencontre et une fusion entre le mandylion byzantin et le voile de La Véronique occidentale, après avoir donné sa propre version de conventionnelle Véronique reliquaire encore en usage dans la seconde moitié du XVI° siècle et dans le siècle suivant. C'est bien uniquement par son art de peintre, plus profondément imprégné des courants mystiques qui se généralisent à la même époque dans le royaume de Castille, que Gréco a pu faire recevoir cette simple icône en nouvelle iconographie de la "vraie icône", avec cette fois un "portrait" de Jésus, seul, dépouillé de Véronique, qui est en fait une idée, et aussi, vraisemblablement, la sainte Trinité dans la mouvance du Carmel et, en arrière plan, l'affirmation de l'Eucharistie.

             Philippe de Champaigne (Bruxelles 1602 - Paris 1674).

                                "Pendant toute le premier quart du XVII° siècle, la peinture française fut dominée par une forme de maniérisme tardif...certains d'entre eux restaient tournés vers les Flandres, et un peintre d'origine flamande, Philippe de Champaigne, se fit à Paris, un grand renom dans l'art religieux...En 1628, il entreprit pour celle-ci (la reine mère) une série de toiles au Carmel de la rue Saint-Jacques...La facture et la lumière dérivent des premiers Rubens...Le traitement du sujet comporte encore des traces baroques, en particulier la lumière miraculeuse...Dans les oeuvres religieuses de cette seconde période (autour de 1645) Champaigne rejette les éléments baroques qu'il avait jusqu'alors conservés ; les rayonnements, les putti, les extases disparaissent" , voici l'oeuvre de Philippe de Champaigne plantée dans le XVII°s. français par ces quelques phrases d'Anthony Blunt [A. Blunt, "Art et architecure en France - 1500-1700". Londres 1953, Paris, 1983,p.204, 215, 216 et 217 // En 1645 Philippe de Champaigne découvre les doctrines jansénistes à Port Royal où sa fille se fera religieuse sous le nom de Catherine de Sainte-Suzanne. C'est pour elle qu'il peindra le célèbre ex-voto de 1662, que nous retrouverons plus loin, à l'occasion d'une autre formation de La Véronique].

                                Gréco a composé son image avant la période d'activité de Philippe de Champaigne. C'est bien dans ce climat baroque/post maniériste contemporain de l'activité de ce dernier peintre et dans le hasard des commandes qu'il faut chercher l'origine de cette sainte Face peinte en 1630 et qui ne ressemble pas à celle de Gréco tout en ayant avec elle des caractères communs, comme cette lumière de face issue de la nuit.

                                     Le hasard est vite démasqué puisque, comme déjà annoncé par le texte d'Anthony Blunt, Philippe de Champaigne reçoit une commande des Carmélites - venues d'Espagne - installées à Paris par la faveur de Marie de Médicis [Voir aussi N.Saint-Fare Garnot, "Le chantier du couvent des Carmélites. Dans , "Dossier de l'art N°140 - avril 2007 - Philippe de Champaigne, exposition à Lille". P.20].

                             La première sainte Face de Philippe de Champaigne que j'expose ici (il y en aura deux) n'a de trait commun avec l'icône de Gréco que cette seule face noyée dans sa chevelure ondoyante et confondue avec la barbe et la moustache qui souligne une bouche fermée. Les yeux sont également ouverts et les oreilles sont cachées. A partir de là le montage est tout à fait différent ainsi que l'expression du visage.
                La Face du Christ de Philippe de Champaigne est totalement représentée de face et il n'y a pas de linge intermédiaire entre la Face et le fond noir. La Face semble venir directement de cette nuit seulement illuminée par un nimbe tout compte fait assez discret. Il créé cependant une couronne de lumière ne soulignant que le sommet de la tête du Christ déjà couronné d'épines [Le 9 février 1570, après la Communion, le Christ apparu à Sainte Thérèse au Carmel de Malagon, non pas couronné d'épines mais d'une couronne resplendissante ; l'union transformante : aridité, angoisse, nuit des sens (Cf. J.Perez, 2007, op.cit., p.74). Pour Jean de la Croix l'âme subit un sort analogue à celui que le feu fait subir au bois, le blessant, le dépouillant jusqu'à ce qu'il devienne feu. L'âme se tient dans le silence]. Cette couronne d'épines est composée de grosses ramures épineuses et tressées. L'idée du bois est aussi présente que celle des épines. Le sang ruisselle depuis cette couronne sur la Face et se confond avec les larmes qui tombent des yeux. Une grande impression de tristesse mais aussi de rayonnement émane de cette composition. Iic le Christ "stoïque" souffre, en silence, et son regard peut inspirer la pitié et aspirer à la communion directe avec l'image de Jésus ( la sainte Face).
                Il est clair que nous ne sommes plus dans le discours du recueil de la vraie icône ni dans celui de la recherche de la Sainte Trinité mais que nous avons basculé dans un autre domaine, celui de représentation,- sans recherche de légitimité - de la sainte Face du Christ de la Passion déjà nimbé et sanctifié. Ici l'accent est mise sur le regard, sur la passion, l'humiliation de la couronne d'épines et la souffrance de celui qui a souffert pour le salut de l'humanité, dans une vision d'extase issue de la nuit conforme aux visions de Sainte Thérèse et au Carmel : la divinité du crucifié - ou de celui qui monte au supplice - dans la nuit qui s'était abattue sur le Golgotha.
               Bien sûr toutes les références bibliques sur le sang, la nuit, la couronne, sur la bouche, vues par l'icône du Gréco gardent ici leurs valeurs mais nous ne pouvons que remarquer l'insistance du peintre sur le sang, sur la souffrance et sur les larmes [Une relique des saintes Larmes, dite Lacrima Domini, était vénérée (Madame Sainte Larme)] : c'est bien la sainte Face d'un Christ de Pitié que  nous donne Philippe de Champaigne  : "ils verront celui qu'ils ont percé" (Jn 19,37), "Alors je répandrai sur la maison de David et sur les habitants de Jérusalem un esprit de grâce  et de supplication. Et ils tourneront les regards vers moi, celui qu'il sont percé. Ils pleureront amèrement sur lui comme on pleure sur un premier né" (Za 12.10), "Et j'entendis du trône une voix forte qui disait " Voici le tabernacle de Dieu avec les hommes ! Il habitera avec eux, et ils seront sont peuple, et Dieu lui-même sera avec eux" (Ap 212.3), "Il essuiera toutes les larmes de leurs yeux, et la mort ne sera plus, et il n'y aura plus ni deuil, ni cri, ni douleur, car les premières choses ont disparu" (Ap 21.4), "En vérité, en vérité, je vous le dis, vous pleurerez et vous vous lamenterez, et le monde se réjouira : vous serez dans la tristesse, mais votre tristesse se changera en joie" (Jn 16.20).

                 La seconde sainte Face de Philippe de Champaigne est bien différente. D'abord, ce n'est pas une peinture mais l'interprétation gravée d'une peinture de Philippe de Champaigne dont l'original semble être perdu [G.Dargenty, "Les artistes célèbres - Philippe et Jean-Baptiste de Champaigne. Librairie de l'art, Paris (non daté), p.90 "graveurs...d'autres fois encore l'artiste encadrait son personnage, ou le plaçait au milieu d'un paysage...au lieu d'un mur de cellule qui faisait le fond du tableau...les graveurs de Philippe de Champaigne modifièrent souvent son oeuvre...plusieurs de ces graveurs éminents étaient en même temps marchands d'estampes...elles (les estampes) ne reproduisent pas toujours exactement les originaux..."]. Au bas de son image le graveur a inscrit en latin "J'ai donné mes joues à ceux qui les ont déchirées, ma face à ceux qui l'ont salie de crachats". Par cette
cittation un peu libre du texte déjà cité d'Esaïe [Comme annoncé en première page de cet article, j'ai fait vérifier des citations latines à Monsieur Jacques Gasc, professeur agrégé de lettres classiques, professeur de Latin, et il m'a bien confirmé l'écart de cette citation au texte biblique] le lien est établi avec l'iconographie  de Gréco mais il y a une grande différence entre les deux images. Avec la gravure nous quittons le caractère très privé, ou à usage privé du tableau - quand bien même ce tableau serait à usage d'une communauté , ce serait toujours à un public restreint et ciblé qu'il serait destiné - pour nous transposer dans le monde de la diffusion des images : c'est-à-dire dans le domaine public et des multiples. Nous sommes là face à la création d'un modèle. Ces créations de modèles ont une énorme importance car ce sont eux qui vont transmettre à de futures générations d'artistes des nouvelles règles iconographiques définies par l'Académie Royale  de Peinture et de Sculpture dont Philippe de Champaigne est un des artistes fondateurs (1648). Avec la création de l'Académie Royale de Peinture et Sculpture ce n'est plus le clergé qui dicte souverainement les règles iconographiques mais l'Etat dont les commandes vont peu à peu supplanter celles de l'Eglise dans une organisation politique où la séparation des pouvoirs n'existe pas mais où la monarchie va prochainement devenir absolue. A cause du rôle grandissant des images de la mythologie - qui permettent aussi de détourner les querelles de religions - le XVII° siècle devient un âge d'or des allégories. Parallèlement, la nature morte fait son apparition et les vanités [en exemple un crâne représenteé en tableau ou dans un tableau est une Vanité. C'est à la fois Ec1.2 et le chapitre I de "l'Imitation de la Vie de Jésus Christ"]. Par la nature morte, le trompe l'oeil en peinture et la peinture de leurre vont atteindre la véritable dimension d'un genre, à part entière.

                            Je n'ai pas de date de réalisation de cette estampe mais le graveur qui signe "N. de Plate-Montaigne" n'est autre que l'élève de Philippe de Champaigne Nicolas de Plattemontaigne [orthographe du dictionnaire Bénézit, édition de 1999, tome II, p.56] - aussi élève de Charles le Brun et de son oncle Jean Morin - né la même année (baptisé à Paris ele 19 novembre 1631 et décédé le 25 décembre 1706 à Paris) que le neveu du peintre Jean-Baptiste de Champaigne avec qui il aura un atelier commun. La carrière de ce peintre graveur commence officiellement par sa réception à l'Académie en 1663. Il devient Adjoint Professeur en 1679 et professeur en 1681. Ceci nous donne en toute vraisemblance une réalisation de la gravure dans le dernier tiers du XVII° siècle, ou un peu avant, mais certainement après "Le Miracle de l'Epine"survenu à Port Royal au mois de mars 1656. Il s'agissait de la guérison miraculeuse de la nièce de Pascal, la petite Périer, qui était atteinte d'un cancer des glandes lacrymales. Le miracle eut d'importantes conséquences puisque la cour et la ville, à l'exception des jésuites, y crurent. Ce miracle fut à l'origine de la suspension des persécutions qui menaçaient l'abbaye en conséquence des effets contradictoires causés par deux publications : l'Augustinus et La Fréquente. L'Augustinus successivement publié à Louvain en 1640 et à Paris en 1641, était de Jansénius, évêque d'Ypres. Cet ouvrage portait en sous-titre "Doctrine de Saint-Augustin sur la santé, la maladie et la médecine de l'âme". [Les querelles autour de l'héritage de Saint Augustin dans le milieu de Port-Royal sont l'objet de vives critiques. Qu'il me soit permis, pour le plaisir du bel esprit français, de produire ici ces lignes de Saint-Beuve "Saint Augustin est comme ces grands empires qui ne se transmettent à ces héritiers même illustres qu'en se divisant. M. de Saint-Cyran, Bossuet et Fénelon (on y joindrait aussi sous certains aspects Malebranche) peuvent être dits, au dix septième siècle, d'admirables démembrements de Saint-Augustin " C.A.Sainte-Beuve, "Port-Royal", Paris, 1860, p.425; Pour d'autres versions sur les querelles intestines et les courants qui divisèrent Port-Royal autour de la question des grâces on aura la curiosité et le bon goût de lire en appendice de la même édition "Les mémoires du père de Montezon" avec d'autres bons mots même au sujet du style de Sainte-Beuve, p.523 et suivantes. 
                         Ce qui donna le plus de rebondissement à cet épisode fut surtout la querelle entre les Jésuites et les Jansénistes.
                                 La doctrine de Jansénius, héritée de Saint Paul et mûrie à la lecture de Saint Augustin, nous dit que "L"homme ne peut se perdre qu'il a reçu la grâce, ni se sauver s'il ne l'a pas reçue, et que la grâce est un pur don de Dieu...Cette doctrine nous ôte, avec la liberté, le mérite et le démérite de nos actes". Le Concile de Trente avait déjà tranché la question "Si quelqu'un prétend qu'un homme par ses oeuvres seules, accomplies par les forces de la nature humaine et sans la grâce de Dieu, peut-être justifié devant Dieu, qu'il soit anathème (excommunié).
                                      Si quelqu'un prétend que le libre arbitre de l'homme a été, après le péché d'Adam, perdu et eteint, qu'il est un mot sans réalité, une fiction introduite par Satan dans l'Eglise qu'il soit anathème". Pour un plus large exposé, clair et rapide, documenté et détaillé du Jansénisme on peut consulter; E.Lavisse, "Le Jansénisme". Dans, Histoire de France illustrée depuis les origines jusqu'à la Révolution - Tome VII, de 1643 àà 1685. Paris, non daté, p.88 et suivantes  //  L.Cognet, "Le Jansénisme". Paris, 1991]
          La Bulle Cum Occasione du 31 mai 1653 du Pape Innocent X s'opposera aux propositions de Jansénus. "De la fréquente communion", dite "La Fréquente", fut publiée au moins d'août 1643[Pour bien situer ces évènements dans eur contexte historique nous ne pouvons pas omettre la mort de Louis XIII cette même année 1643. Louis XIV n'a que cinq ans et l'épisode de La Fronde s'installe sur le royaume. Louis XIV n'atteint sa majorité qu'en 1651, restant sous l'influence de Mazarin qui lui fait épouser en 1660 Marie-Thérèse d'Autriche. La Monarchie Absolue est déclarée en 1661, l'année même de la mort de Mazarin. En 181, contre l'avis de Colbert, le roi transporte la cour à Versailles. Louis XIV révoque l'Edite de Nantes en 1685] par le prêtre Antonin Arnaud, disciple de Jansénius et anti-jésuites. Toute ce livre est "...Une imprécation contre la religion des gens du monde. L'usage étourdi qu'ils font de la communion, de la "sainte viande" de " viande divine", du "baiser de la bouche du seigneur", y est traité de "luxure perpétuelle". Arnaud rappelle à ses chrétiens sans gène l'exemple de l'Hémorhoïsse [Véronique] qui "bien qu'elle brûlât du désir de sa guérison...n'a pas la hardiesse de se présenter à Jésus, mais d'approcher de lui par derrière, et n'ose pas le toucher lui-même, mais sa robe seulement et encore de sa robe les franges, et tout cela avec tant de révérence et de respect qu'après même avoir reçu la récompense de sa foi, elle se jette aux pieds du Seigneur avec craintes et tremblement, timens ac tremens" (craindre et avoir peur) [ce large passage de La Fréquente est cité par E.Lavisse, op.cit. p.89].
                 Philippe de Champaigne, un des créateurs de l'Académie, ne peut pas avoir été durablement un adepte du jansénisme [La plus part des auteurs que j'ai consulté sur Philippe de Champaigne font de cet artiste un peintre quasiment janséniste, dans la sphère de Port Royal sous l'autorité de la mère Arnaud dont il fit le portrait. J'ai donc essayé de vérifier la valeur de ces estimations qui trouvent difficilement une justification dans l'oeuvre du célèbre peintre. De plus, pas plus Jansénius que ses adeptes ne semblent avoir été très enclins à recevoir "les muses". Les grâces de la poésie et des sciences semblent avoir été plus exactement des ennemies jurées du Jansénisme] aux porpositions condamnées par le Pape et par le Roi [L'année même de la création de l'Académie Royale d'ARchitecture, de Peinture et de Sculpture (1648), la fille de Philippe de Champaigne entra comme pensionnaire à Port-Royal. Elle fit profession le 14 octobre 1657, un an après le "Miracle de l'Epine". Le 22 octobre 1660, soeur Sainte-Suzanne Champaigne tomba malade. En octobre 1661 les médecins renoncèrent à la soigner. Le 7 janvier 1662 le miracle de la guérison eut lieu dans la tribune de l'église de Port-Royal. L'ex-voto de 1662 représente la soeur aux côtés de la mère Agnès (cf. B.Dorival, "L'ex-voto de 1662 par Philippe de Champaigne". Dans , "La revue du Louvre et des musées de France - Chronique des Amis du Louvre - 23° année". Paris, 1973, p.337 à 348]. Au contraire il n'a pu que se mettre au service de l'orthodoxie religieuse défendue par Pascal [Dans ses écrits sur la Grâce, Pascal affirme sans cesse, au sein des courants de pensées qui animent et divisent Port-Royal et dont il débat, son attachement à l'Eglise "Voilà la règle que nous tiendrons, et qui est propre à l'Eglise catholique, à l'exclusion des hérétiques qui s'appuient à la vérité sur les Ecritures, mais dont ils détournent le sens par leurs explications particulières, comme ils font aujourd'hui sur le sujet de la réalité du corps de Jésus Christ en l'Eucharistie, par le refus qu'ils font d'acquiescer à la tradition des Pères et des Conciles" : Pascal "Ecrits sur la Grâce". Dans, Pascal, "De l'esprit géométrique. Ecrits sur la Grâce et autres textes. Paris, 1985, p.29]. On comprend alors que Véronique remenée une nouvelle fois au devant de la scène par la sainte Face ne peut être gravée, d'après une oeuvre de Philippe de Champaigne, que pour une large diffusion du message catholique et royal en faveur du retour à la sainte Communion et, par delà les Grâces, à l'Eucharistie. Pour sa part mère Angélique Arnaud débute son récit rédigé à Port-Royal des Champs le 20 janvier 1655, par cette phrase "Au nom de la Très Sainte Trinité, Père, Fils et Saint-Esprit" [Relation écrite par la Mère Angélique Arnaud sur Port-Royal - Les cahiers verts, 2". Paris, 1969, p.29].

                 Une niche carrée arasée dans un mur de pierre, fermée par un rideau, voici la plus simple et la plus sobre expression qui puisse être donnée d'un tabernacle. Si le décor est planté, le montage est à venir.

                    Par l'intermédiaire de liens qui nouent ses angles supérieurs, le linge (rideau) de Véronique est suspendu par deux clous fichés dans le plat du mur  aux angles de la niche. Ce rideau est imprimé d'un portrait d'homme aux longs cheveux, barbu et moustachu, les yeux ouvertes, sans expression particulière mais la bouche légèrement ouverte. Les oreilles ne sont pas apparentes. Le sang coule des plaies du front et des larmes tombent de ses yeux. [La conversion de Pascal à Port-Royal des Champs eut lieu le 23 novembre 1654 par une nuit d'extase mystique...l'année suivante il fera partie des "solitaires" de l'abbaye. Au chapitre " la morale et la doctrine" des Pensées  mous lisons deux pensées quasi consécutives : "Je pensais à toi dans mon agonie, j'ai versé telles gouttes de sang pour toi", " Veux-tu qu'il me coûte toujours du sang de mon humanité, sans que tu donnes tes larmes ?". Dans son exposé sur le Jansénisme, au chapitre de l'intervention de Pascal, E.Lavisse cite la première pensée, sans citer la seconde. En revanche cet auteur ajoute "Joie ! Joie ! Pleurs de Joie !"(E.Lavisse, op.cit., p.105). Le Jansénisme, au contraire, condamnait toute sensiblerie au profit d'un silence supprimant jusqu'au mouvement.
           C'est la "Les Provinciales ou Lettres écrites par Louis de Montalle à un provincial de ses amis et aux Révérends Père Jésuites, sur le sujet de la morale et de la politique de ses pères", publiées du mois de janvier 1656 au mois de mars 1657, que Pascal amène sur la place publique le procès engagé contre le jansénisme. La position d'un Jésuite fut même de qualifier le jansénisme de "calvinisme rebouilli"].
            Un montage qu'on remarque à-peine, projette le portrait dans la faible profondeur de la niche. Ce sont les ombres portées sur l'ébrasement de droite (en regardant l'image) pour une lumière venue de la gauche, qui montrent que ce linge est noué, et donc plissé de telle façon que les trois bords supérieurs du tissu (dessus et sur les côtés) forment un cadre concave  par les plissés (les deux bords retournés de l'image de Gréco perdent ici beaucoup de leur importance et d'une éventuelle valeur symbolique au profit d'une seul e valeur plastique). Le résultat est de renvoyer la surface à peu près plane du linge qui reçoit le portrait, dans la profondeur de la niche élargie en sa partie inférieure d'un linteau saillant en manière d'appui de fenêtre aux écritures latines gravées sur sa fasce et déjà produites. Une couronne d'épines placée en arrière du linge dans la niche, vient glisser sous ce linge jusqu'au bord du linteau de la base de l'édicule. Les épines font même saillie en avant du linteau et ce sont encore des ombres portées sur sa fasce qui nous le montrent en jouant avec des inscriptions. La conquête de l'espace réel par des jeux imbriqués en quasi trompe-l'oeil est peut-ête un vestige de la période maniériste. Certes. C'est aussi un montage remontant à Antonello de Messine par l'encadrement architecturé sur lequel on a fiché à la base un papier plissé en trompe l'oeil où il y a des inscriptions, par ailleurs pas toujours lisibles [ Pour s'en convaincre, et pour comprendre que ce montage peut servir à plusieurs types de représentations depuis la seconde moitié du XV° siècle, il suffit de consulter F.Sricchia Santoro "Antonello et l'Europe". Milan, 1986, Paris, 1987, ill. 14 et 16 pour les "Ecce Homo" de 1470 et 1473, ill. 25 pour le "Christ Bénissant" de 1475, ill.28 pour le "Portrait d'homme" de 1475, ill.33 pour une "Crucifixion" postérieure à 1470, ill.42 pour un autre "Portrait d'homme" de 1478.
                 Philippe de Champaigne avait déjà utilisé un encadrement de fenêtre, sans huisserie et sans inscription, pour peindre en 1650 le portrait de Robert Arnauld d'Andilly, conervé au musée du Louvre (publié par J.Thuillet, "Histoire de l'art". Paris, 2002, p.397). Dans ce portrait c'est la main qui passait dans l'espace réel, par-dessus et en avant de l'appui de fenêtre de la fasce lisse.
                   Ajoutons que nous avons ici un bel exemple des règles conservatrices auxquelles l'académie fait appel, gainant l'activité des peintres qui devront trouver des voies d'évolution de ce carcan, à la source de la création du classicisme français dans une veine se singularisant très nettement des différents baroques européens, et qui vont curieusement donner naissance au style rocaille dont Robert de Cotte sera un des principaux artisans au début du XVIII° siècle, juste avant la fin théorique de la période baroque proprement dite en 1715]. Le plissé du linge de La Véronique est une astuce servant la fonction. C'est donc une invention ayant une nécessité en amont avec les contraintes architecturales de l'édicule et une raison en aval avec le sens signifié par cette représentation de La Véronique ou de la sainte Face. Nous en arrivons ainsi à l'invention, c'est-à-dire là où le métier de peintre se conjugue au génie de la composition au service de l'idée [J'en profite pour faire une insertion de digression en allusion à mes propres recherches en peinture]. Il est difficile d'y voir une interprétation du graveur. C'est ce jeu toujours fictif [une image, une peinture, sinon une oeuvre d'art en général, est toujours une fiction] et cependant instituée entre image réelle et image fictive. En effet, si on considère que la représentation de la sainte Face sur le linge est l'image fictive  ou l'image peinte et que le tabernacle avec la couronne est l'image réelle d'une réalité architecturale contenant à la fois le support de l'image fictive et l'image réelle d'une mature morte sous forme de la couronne d'épines, nous assistons au passage du fictif au réel par le biais de l'écoulement du sang et des larmes qui reste fictif tant qu'il appartient à la représentation sur le visage et sur le linge, et qui devient réalité lorsqu'il se poursuit sur la couronne d'épines et la fasce du linteau à la base de la niche, se mêlant aux écritures et aux ombres portées. Nous sommes bine là dans le cadre le plus pur de la transformation du sang sans changement de forme, c'est-à-dire dans cette voie de la transsubtantiation jusqu'à l'Eucharistie et le Verbe s'est fait chair par la combinaison du sang des larmes et des écritures. 
                      En résumé, nous avons une figure entourée ds symboles de la Passion pour une figure du Christ vivant sans expression de souffrance et doué de parole, le verbe étant la parole de Dieu incarné : il s'agit bien d'une figure allégorique et en fin de compte d'une allégorie de l'Eucharistie peut-être un peu plus éloignée des préoccupations trinitaires par l'insistance sur les blessure du Christ vivant par lesquelles il est bien difficile de voir l'image du père [Une fois cette lecture faite, je peux revenir au Miracle de l'épine, bien que je n'aie aucune preuve de cette relation de l'estampe au miracle. La tentation est effectivement grande de voir dans ce montage une allusion à cet épisode de la vie spirituelle de Port-Royal avec la couronne et les larmes, de voir là l'argument d'un ex-voto pour composer un discours vers le mystère de l'Eucharistie. D'autant plus que la couronne peut-être regardée comme un outil central de la composition et les larmes de la même façon (avec le sang) coulent sur la figure centrale de la même composition. Nous pourrions être proches de la théorie pascalienne du "milieu" telle qu'André Clair en donne une synthèse "Les mathématiques sont déjà une figure (une présence cachée et un visage annonciateur) de la condition humaine et constituent une propédeutique à la réflexion anthropologique, moral et religieuse. Les élévations d'ordre (d'une distance "infinie") n'annuleront pas cette caractéristique commune qui fait que l'homme peut toujours être considéré comme un "milieu" ; mais plutôt la qualification commune d'ordre requiert une structure commune, celle de "milieu entre rien et tout". La mise en rapport et en perspective d'ordres incommensurables s'y appuiera".
                     " La finesse est la part du jugement, la géométrie est celle de l'esprit" Cf A.Clair, "Introduction". Dans, "Lesprit géométrique" 1985, op.cit., p.13.].
                               C'est ce montage de la sainte Face de Philippe de Champaigne qui est finalement l'iconographie recherchée de "La Véronique allégorique" issue de la fusion du Mandylion et du voile ou du suaire de Véronique, si on me permet de m'exprimer ainsi.



                   Un bond de plus de deux cents ans dans l'histoire

                              Nous arrivons au XX° siècle.

                             En deux cents ans il aurait pu s'en passer des évènement et La Véronique aurait pu encore connaître de nouveaux visages ! Mais non rien de très marquant, sinon cette Véronique introduite en outil plastique de composition du Christ aux outrages d'Henry de Groux (vers 1890) et déjà signalée et produite sur cette page. Les courants religieux vont avoir désormais moins d'importance que les courants politiques et culturels.
                                    La fin du règne de Louis XIV ouvre ce nouveau monde avec le traité d'Utrecht (1715) redistribuant les influences des grandes puissances et créant un nouveau royaume au coeur de l'Europe avec la couronne de Sicile, puis de Sardaigne coiffant le duc de Savoie, à l'aube de la révolution industrielle. Le XVIII° siècle est celui des lumières, du peu de grands poètes en France, des grands philosophes et des premiers romans (depuis Tristan l'Hermite et surtout Madame de La Fayette au XVII°s). L'art de la Régence est bien peu propice à de nouvelles thèses religieuses pas plus que la découverte de Pompéi et d'Herculanum aux sources du Néoclassicisme  avant la Révolution Française qui donne la voix au peuple, introduit l'Empire, conquiert l'Europe et créé la muséographie et l'engouement archéologique à la culture antique revivifiée par les campagnes d'Egypte de Napoléon 1°, à l'origine du style d'empire "Retour d'Egypte".
                            Le XIX° siècle sera celui des société savantes, des sociétés d'antiquaires etde médecins érudits à tous propos, mais aussi de l'apparition des maladies de l'âme dans la littérature depuis André Chénier décapité par le peuple, avant le lyrisme romantique des pays germaniques et anglo-saxons, pour une arrivé brutale en France avec le lyrisme de Chateaubriand et de Musset dont les conversions hystériques donneront à George Sand l'occasion de décrire les premières observations cliniques d'une pathologie mentale. Le XIX° siècle c'est aussi l'hégémonie de la grande peinture d'histoire née avec David  à la fin du siècle précédent. La nouvelle noblesse parvenue et la grande bourgeoisie, tout comme celle qui aspire à gagner les échelons de l'aristocratie, font de l'art roman et de l'art gothique (deux expressions inventées au XIX° siècle) des outils de leurs légitimités enfoncées dans l'histoire des grandes familles et des dynasties artificielles. Aux côté des grands sujets historiques et de la galerie de toutes les gloires ["Lui même a discuté et tracé le plan de toutes les galeries, qui contiennent plus de quatre mille tableaux ou portraits et environ mille oeuvres de sculpture. Il a désigné lui-même la place qui devait être attribuée à chaque époque, à chaque personnage. Dans ce vaste classement de tous les souvenirs glorieux pour le pays, le royal ordonnateur  ne reculait devant aucun acte de l'impartialité même la plus hardie. Du haut d'un esprit libre de toutes passions et de tous préjugés, Louis Philippe décida, dès le début, que tout ce qui était national davait être mi en lumière, que tout ce qui était honorable devait être honoré" (Cf. comte de Montfavet, "Fragments de souvenirs", 1890 ; cité par J.M.Pérouse de Montclos dans "Versailles". Paris, 1994, p.82).
                    Citons deux créations exemplaires qui montrent le nouvel état d'esprit dans lequel la muséographie française prend sa naissance, après les prémices de la fin du XVIII° siècle et parallèlement à la construction progressive des collections du Louvre depuis 1793, en marge du musée d'architecture de Lenoir :  1) La création de la galerie des Batailles, faisant partie du musée de L'histoire de France en 1833 et inauguré en 1837, 2) la création des salles d'Afrique en 1842, qui marquent la naissance de la peinture coloniale. Pour un exposé clair, rapide et complet de la question on peut consulter "Versailles, du château au musée - Les collections de peinture - Dossier de l'Art N°59 - Juillet-Août, 1999"] créé par Louis Philippe à Versailles, le pleinairisme international fait son entrée dans la peinture européenne, suivi la symbolisme naissant de Charles Baudelaire. Romantisme et Réalisme pénètrent dans les outils de définitions artistiques et la misère du peuple tout comme la paysannerie y prennent une lare part. Le peuple - ouvriers, paysans, petits et grands fonctionnaires - existe progressivement dans le champ culturel du Romantisme au Naturalisme (Hugo, Sand, Flaubert, Balzac, Zola) et le Parnasse élitiste de la grande société nourrie de culture antique s'isole encore vers la fin du siècle dans la tour d'ivoire des peintres pompiers et des grandes fresques coloniales qui font le lien avec le Romantisme. Les Hydropathes, de leur côté, se constituent en cénacle de "ceux que l'eau rend malade" de "jeunes gens amoureux du beau et du bien". La jeunesse apparaît comme un mouvement artistique et le tableau échappe aux doctrines académiques, préparant la réception de la révolution impressionniste commentée dans les cafés à la veille de la conquête des idées marxistes et des thèses freudiennes. Joris-Karl Huysman, passant du Naturalisme au Décadent et au Religieux, nouait des relations avec Stéphane Mallarmé qui allait introduire le hasard dans l'histoire de l'art, avec Georges Rouault qui allait être un des artisans de la réintroduction de l'art religieux  en pleine période d'Art Nouveau vers Art Déco alors qu'Arthur Rimbaud  s'était contenté de jeter les bases du concept qui allait progressivement révolutionner l'art de la seconde moitié du XX° siècle. Gustave Moreau le peintre symboliste lançait l'idée du Luxe Nécessaire  alors que les Nabis réclamaient le remplacement de l'image par le symbole. Bientôt allaient naître l'Expressionnisme, le Fauvisme, l'abstraction, Dada, le duchampisme contemporain de la naissance des performances et hapenings de Luigi Russolo à John Cage et à la conquête ds installations du quatrème quart du XX° siècle, le Cubisme, la simultaneité, le Surréalisme, le Suprématisme au Constructivisme au Productivisme, les premières voies ouvertes par Raoul Hausmann - depuis Les voyelles de Rimbaud et les manchettes de journaux de Mallarmé - vers le lettrisme d'Isidore Isou et la dactylo poésie - plus la poésie sonore parfois déclinée en architectures poétiques également sonores - d'Henri Chopin, le mouvement Zéro, le Spatialisme et ses tentatives de langages supranationaux autour de Pierre Garnier. Vasarely avec l'art optique est déjà en route vers le minimalisme et le renouveau sans précédent du trompe l'oeil et les Nouveaux Réalismes des année 1960 où nous retrouverons Yves Klein.

                 Au sein de cette grande fresque, certes très succincte avec de vertigineux raccourcis et de dangereuses omissions, j'ai voulu placer le peintre du XX° siècle non pas en tant q'individu, mais en tant qu'acteur inscrit au bout d'une évolution par laquelle l'artiste devient lui-même son propre outil spirituel émancipé, son propre créateur...Après 1960 on pourra dire "Ceci est de l'art car je suis un artiste" (Fluxus, Land-Art, etc...). Duchamp créra de nouvelles translations de reliques dans les musées avec des "Prêt à l'Emploi" aussi appelés "Ready Made" par les anglos-saxons, dont sa fameuse fontaine qui est en fait une pissotière, Manzoni produira ses boîtes de Merde et le Christ d'Andres Serrano baignera dans de l'urine : on tentera de faire de l'excrémentiel, du coprophage, du vulgaire et des déjections une part de l'art caractéristique du XX° siècle et La Véronique au mépris de toutes les valeurs sacrées participera à ce mouvement en tant que mécanisme achiropoète. On tentera de déplacer les valeurs spirituelles, de faire gagner du terrain au vulgaire, mais en fait on se rendra compte que malgré toutes les subversions le spirituel ressort excusant presque ces dérives qu'on aurait voulu d'anéantissement et parfois d'avant garde nourrissière d'une pseudo élite qu'on nous exhibe de façon récurrente sur les écrans à chaque changement d'idéologies comme si la recherche et la spiritualité dépendaient d'idéologies, à moins que ce soit encore une tendance qu'on aurait tenté d'installer au XX° siècle par d'autres images achiropoètes audiovisuelles; la main de l'homme n'existant plus que dans les mécaniques productrices ou génératrices et non plus créatrices d'images par l'intervention directe de la main de l'homme ? Le XXI° siècle, à ce compte, pourrait être le siècle de la pleine conquête de La Véronique. Plus on anéantit et plus on se rapproche d'une nouvelle nécessité de spiritualité et on en forme de nouvelles images aux mécanismes "eucharistiques" (irais-je jusqu'à dire ?) si on en revient à la formation de La Véronique gravée de la fin du XVII° siècle dans ces recherches d'étroites équivalences d'artistes entre la forme et le spirituel.  La Véronique au sein de la reconstruction impériale médiévale, revient alors en force par quelques uns des plus grands et authentiques artistes du XX° siècle : à nous de la découvrir et de la redécouvrir, quitte à renouer un temps avec le vulgaire ou à changer le regard porté sur lui, quitte à redonner une place culturelle à La Véronique pour libérer d'autres voies de recherches.

                      "Nathanaël...Et à présent jette mon livre. Quitte moi" 
                                              André Gide, Les nourritures terrestres, 1897


                       Le renouveau de la peinture religieuse au XX° siècle

                         La peinture religieuse au XX° siècle connaît un essor et une production certainement bien supérieure à celle du XVIII° siècle. Mais comment la découvrir au delà des apparences des images qui sont pourtant très nombreuses dans ce siècle qui commence par la loi de séparation de l'Eglise et de l'Etat ?
    
                            Mais tout commence en fait au XIX° siècle sous l'Empire de Napoléon 1°.

                          La grande nouveauté au XIX° siècle c'est que la commande religieuse passe dans les mains de l'Etat depuis le Concordat de 1801 par lequel l'Eglise devient en quelque sorte "le locataire" de la Nation avec un clergé également rémunéré par le pouvoir temporel. Après la Révolution des églises sont vides et il faut remettre en place des tableaux neufs dont les choix iconographiques ne sont pas ceux du clergé. Les peintures destinées aux édifices religieux passent d'abord au Salon où elles sont exposées lorsque l'oeuvre présente un intérêt pour l'Etat et sa muséographie naissante.
                          En 1870 Gustave Moreau peint L'église triomphante : "...une figure d'allégorie, tenant les reliques les plus précieuses de la France catholique , n'est pas l'incarnation de "L'Ecclesia Universalis", mais plutôt le symbole du catholicisme français; ce catholicisme dont Moreau représentera l'apothéose vingt ans plus tard dans l'un des es derniers tableaux des plus curieux, "La Fleur Mystique" (1890-98). Une branche de lys..." [U.Harter, "Un peintre d'une foi violente". Dans, "Gustave Moreau - Le rêve symbolique - Dossier de l'art N°51 - Octobre 98". p. 46].
                          Le quatrième quart du XIX° siècle est aux tentatives de retour aux sources de la mystique théologique. Le Pape Léon XIII, en 1879, diffuse auprès du clergé son encyclique "Providentissimus"qui est une forme théologique de Saint-Thomas. L'objectif était de créer un renouveau de la civilisation chrétienne en prenant en compte différents aspects de l'art et de la culture à une époque où deux diocèses voisins s'enseignaient pas la même religion [Pour plus de détails : P.Vignon, "Histoire des crises du clergé français contemporain". Préface de J.BDroselle, Paris, 1976 //  B.Foucart, "Le renouveau de la peinture religieuse en France (1800-1860). Paris, 1987   //   G.Brunel, "Du salon aux églises, le renouveau de la peinture religieuse". Dans, "Dossiers de l'art - la peinture romantique - Exposition, la peinture romantique française - N° 28". Mars, avril, 1996].
                            A partir de la période Nabis [Nabis est un mot hébreu, proposé par Gustave Cazalis, signifiant "prophète". C'est de la compréhension que Paul Sérusier eut de la peinture de Paul Gauguin que le mouvement se constitua autour de ce que Maurice Denis, le théoricien du groupe, énonça en ces termes "L'art est avant tout un moyen d'expression, une création de notre esprit dont la nature n'est que l'occasion". Il s'agissait donc de "...ne garder du motif que l'essentiel, de remplacer l'image par le symbole, de substituer  à la représentation de la nature l'interprétation d'une idée" (cf. A.Terrasse, "Nabi". Dans, "Encyclopédie Universalis". Paris, 1992, Vol.15, p.1058)] un véritable mouvement pour un renouveau de l'art sacré émergea [J.Pichard, "L'aventure moderne de l'art sacré". Paris, 1966]. En 1890 dans "Art et critique" Maurice Denis donne sa fameuse  "Définition du néo-traditionalisme" : "Avant d'être un cheval de bataille, une femme nue ou une quelconque anecdote, une peinture est essentiellement une surface plane  recouverte de couleurs en un certain ordre assemblées".
                             De cette expérience de démolition du tableau classique, jusqu'aux assemblages de taches vives, juxtaposées, sans lien, forme décadente s'il en fut pour l'époque, Maurice Denis se découvrait en 1885 une vocation de peintre catholique "Il faut que je sois peintre chrétien, que je célèbre tous les miracles du christianisme, je sens qu'il le faut" [Cité par P.LRinuy, "Le peintre catholique au service de l'art sacré". Dans, "Evènement - Maurice Denis - L'exposition du Musée d'Orsay - Dossier de l'art - N° 135 - Novembre 2006", p.54]. En 1919, juste après la guerre, il fonde, avec le peintre Georges Desvalières, les "Ateliers d'art sacré" avec deux objectifs :
                             1 - former, instruire (de jeunes gens),
                             2 - produire des oeuvres d'art pour le service de Dieu, l'enseignement de la vérité et l'ornement du culte.

                       Georges Rouault (Paris 1871-1958) : des Véroniques et des saintes Faces dans l'art du XX° siècle.

                       L.Venturi distingue  deux temps dans la création de Georges Rouault : l'avant et l'près 1903 [L.Venturi, "Rouault". Genève, 1959, p.14]. A cette date le peintre participe à la création du Salon d'Automne. C'est aussi à cette époque qu'un sentiment religieux personnel à Georges Rouault arrive à maturité  et se trouve à l'origine d'une nouvelle force créatrice artistique. Force qui aurait façonné le peintre, modelant cet artisan de l'art non plus en exécuteur de sujets sacrés (vitraux) mais en artiste à l'oeuvre imprégnée de la foi catholique sans autre recherche que le propre sentiment intérieur de l'artiste vagabond, des personnages de foires, de bouges parisiens et des banlieues aux scènes de la Passion [Ce qui en fait un peintre à part à l'écart des mouvements de l'art sacré contemporain]. Des paysages mettent parfois en scène des compositions plus spatiales que celles en fragments de figures  humaines uniquement. Les sujets peints prennent leur titre suivant le ressenti du moment. Ce qui donne une oeuvre aux mêmes sujets pouvant être différemment dénommés dans une simple transposition de la gravure à la peinture, voire simplement d'une période à l'autre de l'activité du peintre [Dominique Millet écrit dans sa préface à son édition de "En Route" de J.K.Huysmans (Paris, 1996/2003), p.38 "Et pourtant on ne saurait dire que l'écriture d'En Route diffère fondamentalement de celle des romans qui ont précédé. Les mêmes procédés stylistiques s'y retrouvent, mais déplacés : c'est ce qui fait la spécificité du "roman catholique" - que les mêmes figures touchent un autre sujet". Avec l'oeuvre peint de Rouault j'ai la même impression] quand les publications, de l'une à l'autre, s'accordent pour donner le même titre au même tableau...Il est alors difficile de se repérer dans les thèmes par l'iconographie simplement, et cette iconographie a-t-elle véritablement une place aussi importante que pour d'autres oeuvres ? Et quel sens différent peut-on lui donner ? La difficulté s'accroît encore lorsque nous remarquons que Georges Rouault ne peut être véritablement rattaché à un courant pictural de son temps et qu'il est à peu près le seul peintre moderne à avoir eu une production aussi imprégnée ou dirigée par la foi catholique en dehors du champ didactique de ses contemporains. En revanche, des points d'ancrage se profilent avec la littérature et Huysmans est un auteur pivot autour duquel s'articulent une pléiade d'autres écrivains : Schopenhauer, Châteaubriand, Zola, Bloy, Gide, Verlaine, Mallarmé, et même Sainte-Thérèse et Pascal, ...[La rencontre à Ligugé vars 1902/1903 de Rouault et de Huysmans est différemment appréciée par les auteurs qui accordent, le cas échéant, plus d'omportance à sa rencontre avec Léon Bloy. Ayant lu quelques appréciations qui jalonnent les regards de Léon Bloy sur la religion et sur l'oeuvre de Rouault, je préfère reconsidérer cette prétendue influence de l'écrivain et critique que Rouault continuera à voir épisodiquement jusqu'à son décès survenu en 1917. D'autres auteurs n'accordent aucune importance à ces rencontres. Ailleurs, concernant les relations entre Huysmans et Rouault à partir de Ligugé, des insertions erronées - même de la part de grands auteurs - signalent des épisodes de ces échanges spirituels et de l'influence de Huysmans sur Rouault dans "En Route", le roman religieux de Huysmans publié à Paris en 1895 alors que Rouault était à cette date aux Beaux Arts sous l'enseignement de Gustave Moreau qui présente Rouault pour la seconde fois au Prix de Rome. En fin de roman un important outil scientifique de lecture - édition de Dominique Millet, op.cit. - ne fait jamais apparaître le nom de Rouault. Il est vrai que le nom de Pascal cité en préface par l'auteur n'y apparaît pas non plus alors que celui de Sainte-Thérèse est abondamment documenté. Mais le silence sur Pascal est déjà expliqué par D.Millet - reprenant une insertion de la préface de A.Artinian et P.Cogny de leur édition de "Là-Haut", p.34 - comme quoi Huysmans aurait eu des raisons personnelles pour avoir été très discret avec des références à Pascal "nuit de Pascal" (p.18 et 19 de la préface de "En Route" de D.Millet). En revanche, l'omniprésence de la question des Grâces dans les écrits de Huysmans ne laisse aucun doute sur les références théologiques de l'écrivain naturaliste converti, à Port Royal et à Pascal. Rouault a-til écouté Huysmans à ce sujet, a-t-il rencontré l'image de Philippe de Champaigne par cet intermédiaire ou cette image était-elle déjà celle déjà largement diffusée - sous sa forme originale ou en avatar - dans les catéchismes de l'époque ?] et de courants spirituels depuis Saint Augustin jusqu'aux cisterciens, au Carmel et aux Grâces de Port-Royal pour finir à la Trappe des "pères du désert" et aux Bénédictins de Ligugé. Parce que G.Rouault a fréquenté Huysmans, mais aussi Bloy, il y a assurément un rapport entre cette littérature et l'oeuvre de ce peintre qui refusait  catégoriquement qu'on mélangeât l'écrit et le peint mais qui écrivait lui-même. La peinture devait se suffire à elle-même. C'était déjà le point de vue de Gustave Moreau dont Georges Rouault reçut l'enseignement, devenant en plus conservateur du musée de son maître à son décès. C'est dans ces rapports que je vais essayer d'approcher la création religieuse, et celle des Véroniques et autres variantes, dont l'oeuvre de Rouault est émaillée et imprégnée depuis les premiers croquis pour le "Miserere".

                              Georges Rouault avant le "Miserere"

                         "Georges Rouault est né au fond f'une cave le 27 mai 1871 alors que les "Versaillais" bombardent d'ultimes défenseurs de la Commune. C'est de cette cave d'ombre et d'angoisse que sort le peintre "nocturne", le peintre des enfers sociaux" [G.Marchiori, "Georges Rouault". Milan, Paris, 1965, p.5 /// Comme les auteurs livrent parfois des éléments biographiques qui peuvent paraître contradictoires - voire s'infirmer - je rédige ce chapitre sur la vie du peintre à partir des études qui m'ont parues les plus sûres. Celle de Giuseppe Machiori, déjà citée, celle de Lionello Venturi, également déjà citée, l'intervention de Marcel-André Stalter, dans "Peit Larousse de la peinture, Sous la direction de Michel Laclotte, vol.2, Paris, p.1620 et 1621, et celle de Robert Fohr dans "Encyclpédie Universalis". Paris, 1992; vol.20, p.282 à 284]. Plus tard une lettre à Suarès, du 27 avril 1913, confirmera "...Je crois..., au milieu des massacres, des incendies et des épouvantements, avoir, de la cave où je suis né, gardé dans les yeux et dans l'esprit la matière fugitive que le bon feu fixe y incruste". Don premier choc esthétique il l'écrit dans ses "Souvenirs intimes" (1926) : "Très jeune, face à la réalité, je fus épris de Daumier". L'oeuvre peint de Rembrandt et celui de Goya seront ses autres premières grandes rencontres avant qu'il n'associe Moreau et Cézanne à ses grandes références picturales [Avec la publication du catalogue de l'exposition des Musées de Strasbourg " Georges Rouault - "Forme, couelur, hermonie" - Catalogue de l'exposition du musée d'Art Moderne et contemorain de Strasbourg - 10 novembre 2006 - 18 mars 2007" Edition des Musées de Strasbourg, 207, p.22 à 61, l'accès partiel aux écrits de Rouault est maintenant possible. Ces textes sont bien sûr très importants pour apprécier des outils d'étude jusqu'alors difficiles d'accès ou simplement livrés par fragments dans les biographies. On y rencontre des points de vue de Rouault sur Ingres "Ingres peut ressusciter, l'Ecole meurt" (p.28) et des hommages à Cézanne p.25 et 26, p.33 à 36]. Fils d'une ébéniste anarchiste, "croyant mais anticlérical", et d'une mère couturière, à quatorze ans il entre successivement en apprentissage chez deux maîtres verriers Tamoni et Hirsh. Le second est un spécialiste des copies de vitraux anciens. Le soir il suit les cours de l'Ecole des Arts Décoratifs. Très précoce l'élève Rouault se voit proposer par Albert Besnard la réalisation de vitraux de l'Ecole de Pharmacie, cartons et mise en verre. Il refuse.
                      Rouault entre à l'Ecole des Beaux Arts le 3 décembre 1890. D'abord sous l'enseignement du peintre ingriste Elie Delaunay qui décède l'année suivante. Après deux échecs au Prix de Rome Rouault quitte les Beaux-Arts en 1895. Entre 1895 et 1901 Rouault commence à réaliser des oeuvres inspirées des Ecritures Saintes et d'autres exécutées d'après nature (le chantier 1897). Cette période intimiste est celle du mûrissement lent et souverain de son oeuvre. Au décès de Gustave Moreau le 18 avril 1898 Rouault évrivait "Gustave Moreau mon intranisgeance et ma franchise en art me condamnent à la plus atroce misère. A partir de la mort de Moreau, je me suis mis à écrire non par besoin intellectuel, mais pour soulager mon coeur. J'étais très sauvage Gustave Moreau m'a connu et je le suis redevenu". Gustave Moreau est donc le peintre qui, une première fois, apprivoisa la sauvage mélancolie des banlieues qui fut celle de George Rouault. C'est que "Moreau avait le souci constant de respecter notre petite personnalité". L'enseignement de Moreau est connu "Certes dans son enseingement de l'Ecole des Beaux Arts que suivent des artistes comme Georges Rouault, Henri Matisse, Jules Flandrin, Henri Evenopoel ou Albert Marquet, fondé, on le sait, sur l'étude des anciens au Louvre, il est d'abord homme de parole, et refuse de servir de modèle. Il leur apprend la sincérité, la nécessité du travail, leur fait prendre conscience des spécificités de la peinture, un art muet qui combine couleurs et arabesques" [G.Lacambre, "Gustave Moreau et son temps". Dans " Gustave Moreau, le rêve symboliste - Dossier de l'art - N°515 - Octobre 1998". P.13]. Moreau emmène également ses élèvesz  au Louvre pour un enseignement direct mais non imitatif des grands maîtres. Si Peter Cooke peut définir le symbolisme de Moreau en ces termes "...il arriva à cet approfondissement mystique du romantisme français qu'on appelle symbolisme", c'est là un raccourci [P.Cooke, "La pensée esthétique de Gustave Moreau à travers ses écrits". Dans, " Gustave Moreau - Le rêve symboliste - Dossier de l'art - N° 515 - Octobre 1998". P. 19] Il faut reprendre cette notion de symbolisme  dont les manuels font de Charles Baudelaire le grand initiateur, en pleine période romantique, autour de 1840. D'après José Pierre "Symbolisme" et "Décadence" vont de paire "Toute cette histoire commence sans doute, avec le tableau de Thomas Couture "Les Romains de la décadence", qui fit sensation au salon de 1847" [J.Pierre, "L'univers symboliste - Fin de siècle et décadence". Paris, 1991, p.5, 7]. Au mot "symbolisme" il donne la présence indispensable du "symbole", c'est-à-dire, de cet accessoire peint ou évoqué qui amène l'oeuvre au-delà de la lecture pure de l'image, vers un sens second établi da façon purement consciente et volontaire. Mais la manifestation de ce mouvement va plus loin que des définitions primaires de termes. José Pierre écrit plus loin "Dans ces conditions con comprendra sans peine que des écrivains et des artistes  qui, pendant cette période de régression sociale et culturelle qui correspond au troisième quart du XIX° siècle, autrement dit au Second Empire, refusant de se plier aussi bien à la règle désuète des académies qu'à l'exemple d'un Romantisme moribond, aient été considérés comme des décadents par le parti de l'ordre". En 1857 [année du départ de G.Moreau pour l'Italie où il va étudier les maîtres de la Renaissance. Il revient en 1859], dans les "Notes nouvelles sur Edgar Poe" Charles Baudelaire écrit "Littérature et décadence ! - Paroles vides de sens que nous entendons souvent tomber, avec la sonorité tellement emphatique, de la bouche de ce sphinx sans énigme qui veille devant les portes saintes de l'esthétique classique. A chaque fois que l'irréfutable oracle retentit, on peut affirmer qu'il s'agit d'un ouvrage plus amusant que l'Illiade". Le débat est donc vif. Il bascule inévitablement sur e plan de la morale. Les titres des tableaux de Gustave Moreau invitent à la lecture symbolique et pourtant ses déclarations se contredisent : "Il n'y a pas de sujet précis. C'est de la plastique pure...", "Vous ne voulez par voir un enseignement dans une oeuvre d'art pur qui ne vise pas à moraliser ou à catéchiser les esprits. Eh bien moi je trouve une portée très morale à un bloc mutilé antique me représentant un sublime fragment du corps humain : cela élève l'esprit et déjà l'amène plus près des idées de religion et de morale" [Deux déclaration de Gustave Moreau reprises dans Peter Cooke, 1998, op.cit., p.23]. Plus tard, Rouault déclarera "Je ne veux pas moraliser. L'art est infiniment au-dessus de la morale". On comprend alors le cheminement qui s'est fait chez Rouault à partir du dilemme symbolique, entre décadence  et symbole, empruntant des voies de bifurcation de G.Moreau pour en arriver à un état totalement épuré de l'expression esthétique pure dont la rencontre avec e religieux "restaurer le religieux" était inévitable à une époque où les écrivains dégagent des voies parallèles, de Gide à Huysmans, à Bloy, à Claudel, à Jouhandeau par la suite.[ "O bonheur sourd je suis
           Je n'entends plus le moindre
           Bruit que les battements de mon
           Coeur dans la nuit" (texte de G.Rouault)].

                           Trois ans après le décès de Gustave Moreau Georges Rouault devient le Conservateur du musée des oeuvres de son maître. Voici Rouault entrant dans une nouvelle ère "moreauiste". Ses rapports avec le monde littéraire se sont étoffés. Huysmans, ancien ami de G.Moreau, en pleine période mystique, ayant reçu l'oblature à Ligugé  le 18 mars 1900, a déjà publié son roman religieux "En Route" (1895). En 1900, Huysmans invite Rouault à un bref séjour dans sa maison de Ligugé. Rouault ne fréquente que l'église du monastère et pas du tout l'abbaye [Ayant écrit à l'abbaye de Ligugé, je remercie le Père Lucien-Jean Bord (o.b.s.) pour ces précisions qu'il donne sans son courrier du 30 juillet 2007. Informations qui ne figurent dans aucune des biographies et bibliographies consultées]. C'est vers 1901 que le peintre aurait été "révélé" au Christ et c'est encore sous l'influence du célèbre écrivain d "A Rebours" (1884) que Rouault poursuivi son voyage vers le mysticisme. Après une période naturaliste par laquelle il célébra Zola, et notamment le roman "L'Assommoir" [l'essentiel de ces textes sont publiés dans J.K.Huysmans, "Zola". Paris, 2002], Joris Karl Huysmans écrivit ce fameux roman "A Rebours", "Entremêlant au récit une rupture avec le monde réel, des contes, des poèmes en prose, des considérations intempestives, des pages d'histoire e de critique,  il donne l'exemple d'un ses "antiromans" les plus remarquables. En même temps il expose les thèses de la décadence, il s'engage dans les voies de l'expérimentation et se tourne vers la vie intérieure..."[quatrième de couverture de l'édition "A Rebours présentée par Daniel Grojnowski, Paris, 2004]. Nous ne pouvons qu'être frappé s par le parallèle du cheminement de Huysmans comparé à la formation spirituelle de Rouault sorti des banlieues et des faubourgs , à partir de Daumier pour rejoindre par Rembrandt et Goya le monde du symbole et de la décadence artistique pour en arriver enfin au monde du sacré. Alors nous comprenons que les auteurs ont à la fois tort et raison de parler de cette influence de Huysmans sur Rouault mais ce parallèle n'est pas conséquent. Il n'est en fait qu'un cheminement, qu'un carrefour de rencontre de plusieurs voies d'une même époque où certains écrivains ont suivi des dynamiques des états culturels qui s'y sont forgés et y ont créé des oeuvres qui servent maintenant de référence à l'étude. Et, nous comprenons d'autant plus lorsque nous ailleurs les rapports de Gie à Huysmans, du Nathanaël à des Esseintes [Je reviendrai sur ces études regroupées dans "André Gide - 2 - Sur les Nourritures terrestres - Sous la Direction de Claude Martin - La revue des Lettres Modernes - Numéro 280-284". Paris, 1971]. En lisant ces études nous sentons parfaitement que Rouault a quelque parenté avec Gide autant qu'avec Huysmans mais nous n'en n'obtenons pas  aucune explication si nous ne prenons pas ce parcours du peintre dans les dynamiques culturelles de la seconde moitié du XIX° s. En somme Rouault serait l'ersatz en peinture - ayant échappé au dogmatisme des écoles "sacrées" contemporaines et écloses au moment même où il suivait sa propre "conversion" - de ce qui s'est produit en production littéraire depuis le naturalisme jusqu'à la littérature chrétienne de la première moitié du XX° s.
                            La seconde rencontre littéraire sur laquelle les auteurs insistent est celle de Léon Bloy en 1903. Georges Rouault avait lu de cet auteur en 1901 "La femme pauvre" et il avait souhaité le connaître. Huysmans et Bloy se fréquentaient et Bloy apparaît d'ailleurs en filigrane dans "En Route" de Huysmans.Bloy est aussi passé d'une curieuse dialectique avec le clergé à un état de quête spirituelle [En 1885, Léon Bloy avait publié "Le Christ au dépotoir"]. Le regard de Léon Bloy sur l'oeuvre de Rouault est cruel, sinon à la limite du supportable  et si l'influence tyrannique de Bloy sur l'orientation spirituelle défintive de Rouault est au moins avancée par les auteurs [En 1907 Léon Bloy écrivait "L'esprit se prostitue pour venir nous sauver" (cité par G.Machiori p.8], elle n'eut en revanche aucune incidence sur son expression des Fauves mais il n'a guère de traits en commun avec eux si ce n'est une recherche de l'expression en dehors des canons de la beauté "Je ne cherche pas la beauté, mais l'expression". Au salon d'automne de la même année 1905, Léon Bloy écrivait au sujet de Rouault "Cet artiste qu'on croirait capable que d'atroces et vengeresses caricatures. L'infamie bourgeoise opère en lui une si violente répercussion d'horreur que son art en parait blessé à mort". C'est bien le peintre décadent que voit Bloy alors que Rouault a entrepris depuis 1903 - depuis la lecture de "La femme pauvre"  écrivent certains auteurs - avec une nouvelle force, la poursuite de la quête spirituelle par sa peinture et qui sera celle définitive de son art. Léon Bloy se révolte de plus en plus contre ce "disciple" dissident qui semble s'éloigner de plus en plus des idéaux esthétiques prônés par les écrivains de la foi chrétienne. Cette lettre de Léon Bloy à Rouault du 1° mai 1907 est éloquente "J'ai vu naturellement votre unique et sempiternelle toile, toujours la même salope ou la même pitre avec cette seule et lamentable différence que le déchet, chaque fois, paraît plus grand. J'ai aujourd'hui deux paroles pour vous après quoi vous ne serez plus pour moi qu'une viande amie. Primo : vous êtes attiré par le laid exclusivement, vous avez le vertige de la laideur. Secundo : si vous étiez un homme de prière, un obéissant, vous ne pourriez pas peindre ces horribles toiles. Un Rouault capable de profondeur  sentirait quelque épouvante". Rouault continuera  à rencontrer épisodiquement Bloy jusqu'à la mort de l'écrivain survenue en 1917.

                  Le "Miserere"

                          Marié en 1908, le monde bascule à nouveau pour Rouault en 1912 par le décès de son père. Episode excessivement douloureux qui amène le peintre dans sa véritable première période de production mystique. C'est à partir de ce décès qu'il commence à composer le "Miserere" qui s'enrichira de "et Guerre, avec la guerre de 1914-1918, et qui sera finalement publié sous le seul titre de "Miserere avec 58 gravures en 1948 [la période d'élaboration des gravures du "Miserere et Guerreest 1917-1927]. Le "Miserere" est le psaume cinquantenaire de la liturgie qui commence en latin par ces mots "Miserere mei Deus" (ayez pitié de moi seigneur). Dans la préface de l'édition de 2004 nous avons d'autres éclaircissements. En fait, certains de ce "croquis" sont très antérieurs, de dix ans, à la mort de son père. Georges Rouault écrivait à son ami Josef Florian [Georges Rouault, "Miserere". Préface de Frédéric Cherchève-Rouault, Paris, édition de 2004, p.8] "Je suis venu à Versailles, voilà un an. Mon père est arrivé ici mourant au milieu de notre déménagement. Ca a été pour moi une nouvelle horrible et j'ai été malade moi-même, cet hiver, à la suite. J'en ai profité pour collationner des croquis que j'avais accumulés depuis dix ans en me livrant à un petit travail réparateur mis en verve en voulant soigner un accès de neurasthénie sans médecin, j'ai improvisé des complaintes et des chansons...". Il ajoute qu'il considère cette activité comme "...un divertissement et un exutoire à la douleur et même comme une thérapeutique". La conception de l'oeuvre n'est pas immédiate et se situe à plusieurs niveaux : un premier  niveau dans la dimension spirituelle de son art véritablement engagé depuis 1903 et un second niveau qui est une forme d'auto-psychothérapie donc un soin. Le drame de la guerre de 1914-1918 aggrave l'état moral du peintre. En mai 1916 il écrit "...depuis cette guerre, je me sens si peu de chose que si même au milieu des angoisses de la maladie, je me fais l'effet d'un espèce de fou conscient  qui cultive sa folie d'art comme un forcené".
                          En 1913 le marchande tableaux Amboise Vollard avait acheté l'atelier de Rouault et, à partir de 1917, il devient son marchand exclusif. Il installe Rouault au dernier étage de sa villa et y tient le peintre reclus, à produire. C'est à partir de là qu'Ambroise Vollard orient le travail de Rouault sur les suites gravées, dont le Miserere. Pour ce projet Rouault se consacrant à la gravure abandonna progressivement et momentanément la peinture. Tout comme les auteurs, les critiques de l'époque remarquèrent un changement de style "L'image et le symbole deviennent des points extrêmes de multiples interférences...le cycle n'est pas achevé mais il surgira de cet apparent chaos...c'est une synthèse de plans et de zones colorées qui construisent l'image de manière autonome par rapport à la nature". Dans les suites gravées la couleur n'intervient pas au profit des valeurs [En art c'est la quantité et le rapport des noirs et blancs entre eux].
                            Apparaissent alors la première version gravée de la Véronique et une Sainte Face

La Véronique apparaît à la XXXIII° planche du "Miserere" alors que la Sainte Face clôture le volume. Ces deux formations iconographiques - dont la seconde seulement est datée : 1922-1927 - appartiennent à un même temps théorique de la création du "Miserere" et cette vacuité du temps, cette intemporalité fait sens : c'est loin même très loin d'être une "unité" tel que l'acte rapide de peindre nous l'enseigne pour les productions du XX° siècle. Nous sommes déjà dans un autre rapport au temps qui annonce la seconde moitié du XX° siècle.
                    La Véronique, tout comme la Sainte Face, est une gravure en aquatinte publiée en vis-à-vis d'un texte. Ce texte est la première page alors que la figure en est la seconde. L'ordre dans lequel on tourne les pages et l'importance de l'image par rapport aux grands blancs de la page du texte induisent un possible changement d'ordre de lecture qui s'opposerait à celui de l'organisation du livre.
                Cette composition apparemment en simple illustration d'une texte par une gravure - si nous suivons l'ordre des pages du recueil - renverse l'ordre de création puisque c'est l'image qui a précédé le texte, et non pas l'inverse. Nous somme donc en présence apparente d'un texte illustré ou d'une image légendée. Cette composition en diptyque est beaucoup plus complexe et d'une très grande originalité pour l'époque. Elle ne pose pas simplement la question de la peinture chrétienne un peu sotte, répétitive et sans invention. Elle est infiniment plus que cela. Sur le plan plastique elle est l'équivalent de la cration de Gréco au XVI° s.
                     Avant de décomposer ce montage synesthésique en plusieurs niveaux pour une lecture tautologique inscrite dans l'historique des mouvements culturels et plastiques de son époque, je vais procéder par étapes simples.

                      1)  L'ENSEMBLE

                    La gravure, après 1917, est élaborée d'après un croqui réalisé entre 1903 et 1913. Le texte est rédigé à partir de 1912-13 et l'ensemble est mis en page vers 1927 au sein d'un recueil qui est une suite de gravures et de textes réunis sous un même titre "Miserere et Guerre" qui se réduira en simple "Miserere" finalement publié en 1948. L'élaboration de l'image de L Véronique - élaboration mentale - aura donc duré tout le temps de la génése du "Miserere", soit de 1903 (à peu près) jusqu'en 1927, sûr, et peut-être jusqu'en 1948. Soit vingt quatre ans sûrs pour quarante cinq probables. A sa publication, le "Miserere" est donc une oeuvre très longuement mûrie et composée suivant des principes réfléchis. C'est un livre en succession de textes indépendants les uns des autres à chaque fois en double page avec une gravure. Les images profanes succèdent, sans ordre apparent, aux images sacrées, et inversement, comme des jalons de a vie de l'auteur. C'est un tout sans ordre et repère de temps.

                       2)  LE TEXTE de la planche XXXIII

                     Il est composé en trois parties. La première partie est cette suite de deux vers de neuf syllabes décalées de trois syllabes. Ils riment en "in". Ils sont en caractères gras, placé en haut et au milieu de la page. Les vers commencent par des minuscules et donnent l'impression - totalement fausse - que le premier vers est la suite d'un vers de la page précédente et que l'enjambement est direct, comme s'il y avait qu'un seul vers non terminé, puisque terminé par trois points de suspension. Les absences de majuscules et le premier vers commencent par "et" et le second vers se terminant par "..." laisse une impression de vacuité temporelle renforcée par l'idée exprimée d'une action de passer répétée on ne sait combien de fois "passe encore". Cette phrase en haut percée avec une musicalité voulue, avec des syllabes en nombre impair et des sonorités ansales en "in" [ "De la musique avant toute chose,
                                        Et pour cela préfère l'impair
                                        Plus vague et plus soluble dans l'air,
                                        Sans rien en lui qui pèse et qui pose.

                                        Il faut aussi que tu n'ailles point
                                        Choisir te mots sans quelque méprise:
                                        Rien de plus cher que la chanson grise
                                        Où l'indécis au précis se joint..."  Paul Verlaine "L'art poétique", 1874.
   Georges Rouault devait bien connaître la poésie de Verlaine et sa réforme poétique par la sensibilité intérieure et la musicalité - emploi des mètres courts et impairs allié à la sonorité des plus qu'à leurs sens - puisqu'il possédait une photographie du poète qu'il utilisa pour le portrait qu'il publia dans "Les souvenirs intimes" en 1926; (Cf."Georges Rouault, - "Forme, couleur, harmonie". 2007, op.cit., p.16)]. C'est comme une phrase musicale chez Mozart, haut perchée, au-dessus d'un récitatif qui s'inscrit ici plus plus bas et contre une marge fictive à gauche de la feuille. Dans la marges est inscrite - en face du premier vers libre - une indication technique "planche XXXIII" (double "3"). Ce second texte commence comme une majuscule en caractère gras, presque à valeur d'enluminure. Le texte en "récitatif" et en apostrophe "Que la..." est composé de cinq vers inégaux sans rimes. Tous les vers sont pairs en six syllabes, sauf le second qui est à trois syllabes. Ce textexte est écrit en caractères maigres, y compris l'indication de planche en marge. Aucune ponctuation interne ne vient guider la lecture qui n'obéit qu'à son propre rythme des mots. Tous les vers commencent par des majuscules et le dernier vers se termine par une virgule qui nous renvoie vers l'image ou vers la continuité fictive d'un texte sur l'autre page, derrière l'image.
                         Evidemment ce montage poétique où l'architecture même de la mise en page et les blancs ont une grande importance, où les différences de caractères gras et maigres, où la typographie de la lettre "Q" est sur-dimensionnée, aux chiffres romains en indications de planches, est dû ni au hasard ni à une fantaisie spontanée de Rouault (Le doublement du 3 "XXX" et "III" insiste t-il sur la sainte Trinté ?). Ici le monde poétique de Verlaine se conjugue avec l'art poétique de Mallarmé. Comme "Un coup de dés...", elles sont incorporées au sens même de l'oeuvre [Je n'ai pas d'élément en faveur d'une rencontre ou d'une connaissance directe de Rouault  et de Mallarmé. En revanche, Rouault devait au moins être informé sur l'art poétique de Mallarmé et de Verlaine par Huysmans. Les trois hommes se connaissaient bien et colaboraient à l'occasion, en ce qui concerne Huysmans et Mallarmé, au moins de depuis 1882 puisque Huysmans fait part à Mallarmé de son projet de roman "A Rebours". En 1889 on retrouve les deux écrivains en tant que co-exécuteurs testamentaires de Villiers. Mallarmé sous titrera en dédicace son poème "Prose" (pour des Esseintes) le Héros de Huysmans d"A Rebours".
                Les relations entre Verlaine et Mallarmé sont bien connues pa leur correspondance et l'admiration mutuelle et sincère qu'ils avaient l'un de l'autre. Les critiques s'y perdent, prétextant ici l'influence de Verlaine et là celle de Mallarmé qui écrit à Verlaine en 1884 "Vos poètes maudits, chère Verlaine, A Rebours d'Huysmans, ont intéressés mes mardis longtemps vacants de jeunes poètes...et l'on a cru à quelque influence, tentée par moi, là où il n'y a eu que des rencontres" (Cf. H.Mondor, "L'amitié de Verlaine et de Mallarmé". Paris, 1939, p.71). Mallarmé succéda à Verlaine au titre de "Prince des poètes" qui avit lui-même été élu en succession de Leconte de Lisle, poète du Parnasse dont Verlaine et Mallarmé furent un temps. Ce titre de "Prince des poètes" vient de Ronsard.]...Mallarmé se rappelle l'habitude de journaux, attribuant aux titres, sous-titres, manchettes, un caractère et des dispositions typographiques en rapport très exact avec l'attention graduée dont le lecteur dispose. Mais ce titre de typographie saillante, il le conçoit comme une phrase unique, motif essentiel, dont les mots sont espacés dans l'oeuvre, laissant, entre leurs intervalles, place à des motifs moins importants qui en comportent d'autres encore plus secondaires "Mobilier, autour d'une idée, les lueurs diverses de l'esprit, à distances voulues par phrases". "La fiction affleurera et se disipera, vite, d'après la mobilité de l'écrit, autour de arrêts fragmentaires d'une phrase capitale dès le titre introduite et continuée"...L'idée du vers libre, chez lui, se fait jour dans un sens visuel. "Le papier intervient chaque fois qu'un image, d'elle-même, cesse ou rentre, acceptant las succession d'autres"..."C'est en des places variables, près ou loin du fil conducteur latent, en raison de la vraisemblance, que s'impose le texte. L'avantage semble d'accélérer tantôt et de ralentir le mouvement, le scandant, l'intiment même selon une vision simultanée de la page : celle prise pour unité, comme l'est autre part le Vers ou la ligne parfaite"...Mallarmé, admirable musicien du vers, est en partie amené à la simultanéité par des réflexions sur la musique" [La simultanéité ou synesthésie entre en compositions artistiques majeures du XX° siècle. Si on passe sur des formes parentes comme le portrait charge ou le Limerick, c'est essentiellement à partir des opéra de Wagner, dans lesquels plusieurs actions se jouent  en même temps, que le procédé passe dans les autres formes d'art. Le "Salambô" de Flaubert est aussi, parallèlement, une des premières formes littéraires du principe. Mallarmé fut de ceux qui furent "obsédés" par la simultanéité. Le 8 janvier 1886 Mallarmé rend d'ailleurs hommage au musicien dans la "Revue Wagnérienne" par un article qui ramène le compositeur dans le champ de la poésie "Richard Wagner. Rêverie d'un poète français". L'année suivante, dans la même "Revue Wagnérienne" Mallarmé publie son "Hommage à Wagner". Le débat sur la simulaténéité atteint une première dimension d'enjeux sur la modernité à partir des années 1910. Sonia Delaunay en revendique l'invention par sa collaboration avec Blaise Cendrars pour "La prose du transsibérien et de al petite Jehanne de France", Paris 1913; Dans l'oeuvre de Robert Delaunay les contrastes simultanés ont un rôle de construction du tableau (cf. Gilles de la Tourette, "Robert Delaunay". Paris, 1950). Ce passage de la synesthésie dans la peinture a été largement favorisé par es théories e Chevreul sur le cercle chromatique : loi sur les contrastes simultanés depuis 1839, application aux arts industriels et cercle chromatique publié en 1864. Ce principe artistique sera exporté au U.S.A. par l'Atelier 17 d'Hayter (Graveur en activité à Paris à partir de 1927 puis à New-York à partir de 1940) et se retrouvera dans toutes les créations plastiques d'outre atlantique ou d'Europe faisant "frictionner" les rapports colorés depuis les planches jusqu'aux objets bruts de la production industrielle auxquelles les couleurs sont déjà intégrées : couleurs en "prêt à l'emploi" ("ready made" pour les anglo-saxons) en quelque sorte. La simultanéité entrera également en composante essentielle de la poésie phonétique pour laquelle Dufrêne réalisera une exposition à la galerie des Quatre-Saisons en novembre 1960 à Paris. Tous les poètes contemporains novateurs reconnaissent l'importance de la la simultanéité à travers ce moteur qu'est toujours l'oeuvre de Mallarmé en parallèle avec l'oeuvre de Rimbaud pour le concept et le "JE est un autre", et les vers qui suivent, de la Lettre à Izembard du 12 juillet 1871.
                      Pour toute la partie entre guillemets dans le texte, concernant les définitions de l'art poétique de Mallarmé à partir du "Coup de Dès (1898) : cf.: A.Thibaudet, "La poésie de Stéphane Mallarmé". Paris, 1926, 2006, p.386, 387 et 3888, donnant de nombreux  extraits de Mallarmé ("Divagations") et d'autres puisés dans "Observations relatives au poème Un Coup de Dès. Cosmopolis, mais 1897".].
                               Si je prends comme premier repère "Véronique" je comprends que l'ensemble fonctionne de façon simultanée. Véronique apparaît simultanément dans deux textes isolés par un grand blanc de la page et décalés dans la page : une première fois de façon autonome en "Véronique anecdotique" ou en tant que personnage du portement de croix " et Véronique passe encore sur le chemin", et une seconde fois comme "Véronique reliquaire" ayant recueilli la sainte Face imprimée sur le linge pour l'imprimer ensuite dans le coeur. Le blanc de la page pouvant être ce moment achiropoète du passage de l'image du Christ au linge de  Véronique [De nombreux auteurs et plasticiens contemporains utilisent ce système pour faire aboutir une action non descriptible ou dont la puissance d'évocation peut se trouver renforcée du fait de son oblitération dans le récit laissant courir l'imagination et le fantasme. C'est le cas pour l'action "oblitérée" du viol dans le roman d'Alain Robbe-Grillet tel que l'auteur l'expliquait lors de son intervention aux journées de l'association "art, science et cerveau" sur le thème de l'image au château de Mouans-Sartoux - Espace d'Art Concret les 16-17-18 septembre 1999.
                             Si je m'en réfère à mes sources je remonte au poète romantique britannique Percy Bysshe Shelley (1792-1822) qui utilise la métaphore du charbon en train de s'éteindre comparé à un esprit en situation de mort, soudain illuminé et concevant l'esprit d'une nouvelle clarté, d'une nouvelle beauté. C'est à cet auteur que James Joyce se référera pour trouver l'image de la quidditas (se reporter plus loin dans cette page). George Sand utilise ou invente la même métaphore mais la projette dans le mécanisme même du récit dans la scène des gitans de "Consuelo et la contesse de Rudolstadt (1842-1844) racontant des histoires autour d'un feu qui finit par s'éteindre, interrompant le récit et le laissant en suspend, autant dans la narration que dans l'imaginaire du lecteur. Le mécanisme shellien et sandien sera à la base même, en compagnie du concept rimbaldien, de ces formes artistiques contemporaines parfois regroupées sous le vocable d'oblitération. La métaphore des braises qui s'éteignent est littéralement réutilisée et nous pouvons en voir un autre héritage dans l'art éphémère du feu par l'esthétique transformée, naissante et durable en traces inscrites sur un support (lien avec La Véronique que nous allons retrouver plus loin dans l'avant garde) archéologie de ce fut un état hasardeux (mallarméen) flamboyant. Ceci est donc plus riche qu'une simple histoire d'histoire oblitérée (partiellement masquée pour rebondissement)]. En face de la seconde dénomination (en marge) nous avons en plus, en simultané, la référence numérotée de la planche du livre (première tautologie). L'objectif final " Puis dans ton coeur" est un ajout, une invention analogique de Rouault par le mot "imprimer" qui est autant celui du report achiropoète de la sainte Face que celui de l'action de l'artiste Rouault graveur travaillant pour l'impression du "Miserere" : il y a là une bifurcation qui nous amène à une première idée de complément tautologique, vers un but global à atteindre à partir des actions menées par La Véronique dans ses différentes formations iconographiques et qu'ajoute Rouault par le verbe. Cette nouveauté est déjà par le texte une nouvelle formation iconographique, mais d'une autre nature, fonctionnant avec l'image en vis-à-vis, où nous entraîne la virgule finale du texte.

                           3) L'IMAGE de la planche XXXIII.

                                 Par la technique choisie, l'image elle-même n'est pas un premier degré : c'est la gravure d'un dessin, d'un croquis. La technique de reproduction d'un dessin apparemment en lavis est celle de l'aquatinte. Il y a intervention d'un métier de graveur pour mettre en place un lavis, c'est-à-dire restituer le geste de l'artiste dans toue sa dimension "expressionniste" et sans apport de couleur, car la suite est en noir et blanc. Les filtres qui se sont installés entre le geste premier et le résultat final sont nombreux et nous ne sommes pas du tout là en face d'une oeuvre spontanée, rapidement exécutée en méthode projective, bien que l'image nous en donne le sentiment. Il faut donc se garder de toute lecture en projection immédiate d'un sentiment intérieur ponctuel, contrairement aux déclarations de Rouault qui parlait d'un sentiment du moment". Et il en est de même pour toute la suite gravée de ce recueil. C'est donc à l'appréciacion d'un véritable travail d'artiste  et d'artisan que nous sommes conviés. Cette image raisonnée se prête donc à la lecture raisonnée : nous ne pouvons pas parler de hasard. Comment alors lit-on l'image ?
                                 Nous lisons alors l'image avec les références à d'autres images du même type que nous connaissons. Puisque nous en étions restés à la gravure en tabernacle de Philippe de Champaigne je pensais pouvoir vérifier un lien éventuel entre la gravure et ce dernier peintre et celle de Rouault [le sens de mon dernier courrier adressé à Ligugé était de savoir su G.Rouault avait pu voir des formations de La Véronique ou de la sainte Face à l'abbaye. La réponse est claire : "Rouault n'a fréquenté que l'église".]. La permanence du réseau orthogonal de traits droits en camaïeu de gris autour de la tête semble bien nous orienter vers un encadrement et le blanc sur lequel repose la Face pourrait être un linge. Mais ce n'est pas certain car nous sommes dans l'orientation et non pas dans la figuration "réaliste". Le visage possède également des traits "sûrs" et des traits "incertains". Les traits "sûrs" sont ceux du visage d'un homme chevelu et barbu, couronné d'épines, au front taché d'écoulements (de sang), à la moustache en deux virgules divergentes au-dessus d'une bouche fermée elle-même soulignée par une barbe en collier. La question des yeux semble se poser. Ces yeux en deux parallèles faiblement espacées t convergentes en leurs extrémités semblent orienter une lecture vers des yeux fermés [J'avais évoqué des liens informels entre la spiritualité dans l'oeuvre littéraire d'André Gide et celle peinte de Geroges Rouault. G.Strauss nous amène vers ce thème "Dans les cahiers d'André Walter, Gide mentionne "La convoitise des yeux", la vue serait donc le sens qui nous induit en tentation, le sens qui nous empêche de voir les vraies valeurs spirituelles...Gide nous montre cependant que cet aveuglement religieux peut atteindre le "sublime" (cf. G.Strauss, Cécité et aveuglement". Dans, "André Gide - 2 - Sur les Nourritures terrestres. Sous la durection de Claude Martin. La revue des lettres modernes - Numéro 280-284". 1971, op.cit., p.90 et 91). G.Rouault en 1924 écrit "Nos yeux sont la porte de notre esprit et la lumière de notre coeur" (cf. "G.Rouault, "Forme, couleur, harmonie". 2007, op.cit., p.36].


                          4) LA SYNTHESE DE CES DEUX PAGES EN VIS-A-VIS.

                                   Le fonctionnement simultané interne au texte écrit et mis en page s'ajoute en seconde composition simultanée à la présence de l'image mis en fond de lecture en écho, suivant la lecture chronologique des pages. Donc, suivant un ordre rétroactif cette image est concernée par le texte, intégrée au texte qui ajoute une nouvelle étape à la vie de l'image "imprimée dans le coeur". Ayant déjà trois niveaux de lecture simultanés en texte - les deux références à Véronique plus la références à La Véronique plus la référence de la composition dans le livre en numéro de planche. - nous en avons un quatrième avec l'image elle-même intégrée à cette référence "planche XXIII", tant et si bien que la lecture finale de ces deux pages se fait en une seule de façon suivante :
                                                 Puis dans ton coeur (formation iconographique achiropoète)
                              Imprime l'image de la sainte Face........................ ...Image gravée imprimée [Nous sommes là sur la route qui va nous conduire aux Tags et grafs des années 1980-90 fonctionnant sur une esthétique de la tautologie jusqu'à la synthèse et la fusion du verbe et de l'image pour lesquelles l'apparition des écritures scandées et automatiques auront une grande importance à l'origine des écritures en "Break" du Hip Hop. En 1912 Guillaume Apollinaire saluait une naissance de l'esprit nouveau avec les collages auxquels la poésie devait s'associer sans réserve. Son observation partait  de la Complainte de la Ville de Paris - de Jules Laforgue - fonctionnait en techniques de collages de poèmes en prose. Pour une étude quasi visionnaire sur certains aspects techniques essentiels de ce sujet : G.Bertrand "L'illustration de l apoésie à l'époque du cubisme - 1909-1914 - Derain - Dufy - Picasso". Paris, 1971. Voir également sur ce blog la page "Mon regard sur l'art contemporain". Juillet 2011
                                      
                                   La sainte Face du "Miserere" est elle aussi en vis-à-vis d'un poème, mais en prose. La phrase haut perchée est conservée. Elle est entre guillemets en citation mise en deux vers irréguliers - l'un pair en sept syllabes et l'autre pair en six syllabes - décalés de deux syllabes. Les chiffres romains en numéro de planche et la grosse majuscule qui introduit le poème sont également conservés. Dans le catalogue de l'exposition de Strasbourg on a même repris la citation entre guillemets comme un titre "C'est pas une meurtrissure que nous sommes guéris" (1922-27). Il en est chez Rouault des titres comme du respect des conventions iconographiques : toujours en mouvement, en recherche d'invention, en quête de nouvelles propositions ou recherches de nouvelles représentations qui déroutent même les contemporains, parfois dans des formes picturales très voisines et parfois très semblables à d'autres thèmes pourtant éloignés les uns des autres. Ici, dans cette sainte Face la tête d'homme reprend aussi l'icône byzantine mais en forme plus allongée que pour La Véronique. Le noir de la Face est plus important, les valeurs grises cèdent le pas aux noirs crus. La couronne d'épines est beaucoup plus développée et le sang du front est beaucoup plus voyant. La même indécision existe à propos des yeux que dans l'image précédente de la sainte Face  liée à la représentation globale de La Véronique, bien que j'aie l'impression qu'il soient ouverts. Les réseaux de traits qui entourent la face sont moins nombreux et ils n'encadrent pas toute la figure. Dans le bas de l'image un détail intrigue. On peut y reconnaître, soit la base du support d'un chevalet, soit l'idée du linteau de la composition en tabernacle de la gravure de Philippe de Champaigne. Avançons nous vers l'image de clôture du "Miserere" en formation eucharistique face à un poème en prose testamentaire comme sir le peintre atteignait là la fin de soeuvre, éprouvant le besoin de se justifier face aux hommes qui n'ont pas compris son terrible message ?

                       Rouault s'identifie un peu ici au cri de Munch, mais à un cri muet "La bouche qui s'entrouve sans qu'aucun son sorte en rêve déchirant". Etat onirique figé, oblitéré, dans l'horreur de la condition humaine face aux drames de la guerre "Et me voilà muet, sans voix, figé sur place, hypnotisé comme l'oiseau parle au serpent". Etat de mort de l'action de l'artiste face à l'incompréhensible mystère divin auquel la question est posée sans réponse. Le texte ne se prolonge pas sur l'image,il est en opposition comme l'oiseau face au serpent, sûr de sa mort. Renversement probable du bien et du mal, d'Eros et Thanatos, des pulsions de vie et des pulsions de mort sans qu'on sache  qui vit et qui meurt. Face à la sainte Face l'instant d'arrêt de la conscience et du corps est suspendu, posé. L'oblitération atteint son suprême degré d'intensité dramatique avant la rédemption et la réincarnation probable.

                    En 1933 Rouault produit encore une sainte Face mais celle-ci est en couleur avec des yeux grands ouverts, sans équivoque possible. C'est une huile et gouache sur papeir marouflé sur toile d'un format 
bien supérieur à celui d'une livre : 91 x 65 cm. La face est allongée, cernée de puissants traits noirs qui sont aussi les représentations des yeux, des cheveux, de la barbe et de la moustache autour d'une bouche fermée. Une couleur blanc-beige sert de fond unique en transition du fond de la composition et du ton de a Face très largement maculé de rouge (sang). Ce montage par couleurs et réseaux de lourds traits noirs - pouvant être celui de la sainte Face sur le voile de Véronique en toile du peintre - est encadré de réseaux de traits blancs, gris, d'autres en succession de points en rangs de petites perles blanchâtres et d'autres en rangs de perles plus grosses en cabochons rouges, de telle manière que nous pouvons avoir l'impression d'une moulure de cadre sculpté et donc stylisé par sa traduction peinte au même niveau de peinture  que celle de la Face et de sa toile de fond. Ceci n'est pas sans nous rappeler la sainte Face de Gréco qui associait la technique de son métier de peintre à l'objectif théologique du rayonnement de la Face dans la nuit, le cadre chez Rouault. Le principe plastique st est exactement le même de Gréco à Rouault sauf que la couronne d'épines chez Rouault est traduite en doré au-dessus de la tête, c'est-à-dire par une couleur de nimbe confondue avec la représentation de la couronne d'épines. C'est une sainte Face sanctifiée par la couronne d'épines en auréole jaune que nous livre Rouault. D'un point de vue de l'étymologie cette Face est bien une sainte Face - celle d'un homme sanctifié - et l'encadrement de la toile (du linge ou du voile) peut bien être un cadre sculpté plutôt que celui architecturé d'un tabernacle, cela ne change rien sauf que  Rouault fait l'économie du discours théologique de la  transsubstantiation ou plus exactement impose son discours sur la Face sanctifiée et donne finalement une sainte Face de la Transfiguration. C'est encore une nouvelle formation iconographique de Rouault mais elle fait le lien avec la sainte Face du Christ de la Passion de Philippe de Champaigne dans la mouvance carmélitaine, depuis la sainte Face de Gréco jusqu'à la gravure de la Face en tabernacle de la période de Port Royal. 

                     Après le "Miserere" les références à la vie de Rouault semblent moins importantes que les années qui ont amené cette naissance d'un cycle intérieur, à l'oeuvre du peintre d'images de la Face et des variations sur le thème de La Véronique [Collette Dubois, dans son intervention dans l'Encyclopédie Universalis, écrit "Enfin la fréquence de thèmes comme "la petite banlieue" ou le "faubourg des longues-peines", lesquels procèdent évidemment du vécu personnel de l'artiste, et des scènes de la Passion du Christ, où le tragique de la vie n'est plus violemment évacué mais assumé et comme intégré à une reconnaissance de la "chute", confère à cette production des années 1914-1930 une résonance stoïcienne  particulièrement intense"]. Suit une période plus heureuse de 1930 à 1948 environ où apparaissent des thèmes religieux traités avec plus de sérénité et des bouquets de fleurs. La guerre de 1939-1945 raviva les fantômes du passé mais l'artiste assuma ces nouvelles horreurs de son chemin avec plus de sérénité même si elles furent encore l'objet  de compositions tragiques comme l'Homo Homini Lupus de 1944-1948 (l'homme est un loup pour l'homme). Rien d'étonnant alors à ce que l'image de Véronique soit celle du mythe et on plus de la recherche de l'image de souffrance absente et présente par toutes les foramtions iconographiques du thème, jusqu'à leurs fonctionnements simultanés. Les dernières années de la vie de Georges Rouault sront marquées par une sorte de jubilation mystique. Cette nouvelle attitude artistique de la seconde moitié du XX° siècle s'articule avec celle d'avant-guerre, désespérée jusqu'à la folie, depuis les maladies de l'âme d'André Chénier. Le Romantisme se meurt...loin en aval comme il éta né loin en amont.

                        Véronique en tant que femme, en tant qu'héroïne
                       Seule, en alcôve ou en tabernacle est coiffée d'un voile de religieuse ou d'infirmière qui tombe sur ses épaules. Le front ceint d'un voile est timbré d'une croix : symbole pausé sur un autre. De face, légèrement inclinée en pose affectée vers la gauche (droite de l'image) : c'est une peinture. Son visage, la bouche fermée, les yeux grands ouverts, semble exprimer tout un monde de beauté résignée et douce.
                           Les auteurs ne sont pas très à l'aise pour commenter cette soudaine image de l'héroïne Véronique [En fait, la difficulté semble venir de l'absence d'étude globale sur le thème iconographique. Lisons tout de même ces belles lignes de Michel Hoog "Mais entre les deux, le salut, la rédemption, la grâce leur ont été apportés par le Christ, assumant ce visage, et le rendant à l'homme, mais apaisé, sauvé, par l'intermédiaire du voile de Véronique : ce thème privilégie, en quelque sorte, cette place exceptionnelle du visage dans la vision de peintre de Rouault, qui a plus souvent représenté le Christ sous l'apparence du voile de Véronique, que directement. Il est même significatif qu'une des rares figures précisément identifiée de Rouault, et une des plus belles aussi, soit justement sainte Véronique elle-même dont le propre visage est en quelque sorte, au nom de l'humanité tout entière, le visage d'un être sauvé..." M.Hoog, "Exposition - Musée national d'Art Moderne - Centenaire Rouault". Dans, "La revue du Louvre et des Musées de France - Chronique des Amis du Louvre - 21° année - 1971".P.128 et 132 (article cmplet à partir de la page 123)]. Ce serait en réalité une infirmière qui aurait pansé les plaies des martyrs de guerre. En voilà assez pour faire d'une infirmière une Véronique. La guerre comme une crucifixion, comme une souffrance rendue grâce à la Passion de Jésus. Sommes-nous prêts à recueillir cette idée d'une représentation de Véronique reposant pour la première fois sur une image peut-être horrifiante ou cruelle mais poétisée de la réalité de la guerre ? En fait la poétique de la montée au calvaire est-elle moins cruelle ?
                                Le mythe Véronique ou la légende représentée en figure symbolique fait ici son apparition et n'est-ce pas aussi face à un second ou à un troisième Miserere symbolique - de la guerre et des deuils - que cette image "païenne" d'une héroïne chrétienne - et curieusement, retrouvant la la Véronique de la Légende Dorée dans un sublime exercice de tautologie mystique - surgit brusquement dans l'oeuvre de Rouault, vers un nouveau degré de spiritualité : celui de la dernière décennie de la vie de l'artiste ? 

                                La sainte Face de 1946 n'apporte rien de nouveau à la formation iconographique. Simplifiée, presque schématique, nous voyons une sainte Face moins dramatique que celle de 1933.
Une sorte de lumière simple et irradiante semble émaner de l'ensemble. Si nous allons au détail, nous trouvons une systématisation de l'ovale du visage de la Face de 1933, repris dans la Véronique de 1946. Les réseaux de traits de la Face de 1933 se réduisent maintenant à un simple encadré qui fait ressortir un nimbe au-dessus du crâne où la partie supérieure de cet encadré clair est soutenu par une partie peinte plus foncée encerclant le sommet du crâne jusqu'aux saillies latérales de la couronne d'épines. Le front est timbré  mais sans précision de forme. Rouault atteint là une sorte de stéréotype des visages tout à fait contemporaine des productions d'autres artistes très novateurs  comme les faces stéréotypées de l'humanité ouvrière de Fernand Léger et celles poétiques  et mystiques de Marc Chagall, ou encore celles de Pablo Picasso, après le portrait de Gertrude Stein (1906). A chaque avancée, nous découvrons Rouault allant vers d'autres nuances de formation mais à coup sûr en accord parfait avec l'évolution de l'art de son temps. Tant et si bien que même lorsque nous parlons de la sainte Face ou de La Véronique, nous pouvons avoir aussi le sentiment d'un artiste utilisant des supports de l'iconographie conventionnelle religieuse en outils de recherche plastique de l'art contemporain. Et cela n'est pas sans poser bon nombre de questions.

                                    Nous avons rencontré des images construites à partir de références culturelles puisque conformes aux formations iconographiques telles qu'elles sont apparues au cours de l'histoire et parfois avec les mêmes arguments de peintre. La parallèle avec les formations de Gréco à Champaigne s'est imposé de lui-même. Rouault y apporte la modernité et la réflexion de son temps. Sans suivre la doctrine d'un mouvement religieux dominant de son époque, Rouault donne sa propre vision spirituelle du thème qu, en revanche, s'inscrit dans les grands dogmes de l'Eglise, nés de ces moments ultimes de la vie du Christ face à son supplice et à sa mort vers sa résurrection et son immortalité. Rouault va plus loin, il fait fonctionner le texte avec l'image et il invente ici un mécanisme de tautologie qui en entraînant des écarts de régularité, induit des enjambements directs  du texte à l'image ou au contraire des ruptures  qui forment un "blanc" une "oblitération" qui a alors une fonction de sens riche pour l'avenir puisque à peu près à la même époque l'écrivain irlandais James Joyce commence ses expériences épiphaniques ( Ulysse commencé en 1913), que nous retrouverons plus loin. Avec les formations postérieures  à 1930,l'idée d'un peintre qui donne des versions iconographiques religieuses inscrites dans la dynamique des créations laïques de ses contemporains, en oeuvrant en dehors du champ religieux, ou encore oeuvrant dans une spiritualité plus éloignées ds canons de l'Eglise, se renforce tant et si bien que nous sommes plus enclins à regarder l'oeuvre de Rouault comme inscrite dans le grand mouvement de l'art contemporain du XX° siècle et tantôt la question du religieux dans l'art du XX° siècle ressurgit et arrive même en question primordiale : y a t-il une spiritualité dans l'art du XX° siècle qui va connaître, entre autres, la révolution de l'abstraction par Wassily Kandinski dont le premier traité  théorique, écrit en 1910, sera "Du spirituel dans l'art, et dans la peinture en particulier" ?   
                                 
  
                 Une idée de la spiritualité dans l'art contemporain par les écrits de Jean Arp
     [Jean Arp (Hans Arp - Strasbourg 1886-Bâle 1966) découvre la peinture moderne à Paris en 1904. Après des études d'art à Paris il part en Suisse à Weggis où il participe en 1911 à la fondation du Modern Bund. Lié au Blue Reiter (Cheval Bleu) de Kandinsky, à Munich, il rencontre ensuite Robert Delaunay avec qui il pratique un cubisme dérivé de l'art de Cézanne (Cubisme pour lequel Appollinaire inventera le mot "Orphisme" en donnant la définition suivante "l'art de peindre des ensembles nouveaux avec des éléments empruntés non à la réalité visuelle, mais entièrement créés par l'artiste et doués par lui d'une puissante réalité. Les oeuvres des artistes orphiques doivent présenter simultanément un agrément esthétique pur, une construction qui tombe sous le sens et une signification sublime, c'est-à-dire le sujet. C'est de l'art pur". En 1916, Arps est l'un des fondateurs de Dada avec Tristan Tzara dont il illustre 25 poèmes. En 1919-1920, il prend encore part à la création du mouvement Dada de Cologne puis de Berlin. De 1925 à 1930 il participe aux manifestation surréalistes parisiennes. Pendant la guerre, à partir de 1939, il forme avec son épouse Sophie Taeuber, Magnelli et les Delaunay, Robert et Sonia, le "Groupe de Gréasse" dont le souvenir est conservé à Vallauris. Peu à peu il dégage  les voies de l'art concret et il continue d'ouvrir la route aux Nouveaux Réalismes qui vont rencontrer les néodadaïstes new-yorkais. L'essentiel de la trame bibliographique est extraite de  l'étude de P.Georgel  "Arp". Dans, "Petit Larousse". 1979, vol.1, p.74 et 75 / La partie entre parenthèse s est extraite de l'étude d'H.Read, "Histoire de la peinture moderne". Edition française, Paris, 1960, p.104 et 105. Les références au groupe de Grasse apparaissent dans toutes les biographies de Magnelli, de Arp ou des Delaunay.  

              L'art religieux n'est pas absent des productions peintes de la seconde moitié du XX° siècle. L'oeuvre de Salavador Dali ou celle de Marc Chagall en témoignent. Plus surprenant, l'artiste se réclame du religieux en frôlant la folie et une fois de plus qui est passé, comme Mallarmé, comme Husmans ou comme Rouault par un état de "Néant" ou de "décadence".

                     La guerre de 1914 avait été en partie responsable d'une crise artistique au sein de laquelle était né le mouvement DADA (1917) "...une volonté de se débarrasser du poids mort des toutes les anciennes traditions, sociales aussi bien qu'artistiques, et non une recherche positive visant à la création d'un nouveau style artistique...Il fallait détruire  toutes les idées conventionnelles sur l'art afin de garantir l'émancipation totale de l'imagination visuelle" [H.Read, 1960, op.cit., p.144]. Jean Arp écrivait avant 1949 "L'art est d'origine naturelle et se sublime et se spiritualise avec la sublimation de l'homme" [J.Aprs, "Jours effeuillés - poèmes, essais, souvenirs - 1920-1965". Préface de Marcel Jean. Paris, 1966, p.317 (L'art es un fruit).]. C'est aussi en 1944 dans un texte appelé "Art Concret" qu'Arp réclame l'abandon de la signature des oeuvres " Nous voulons produire  directement et par truchement...".   
                     'Comme il n'y a pas la moindre trace d'abstraction dans cet art nous le nommons : art concret...Les oeuvres d'art ne devraient pas être signées par les auteurs" [J.Arp, 1966, op.cit., p.183]. Voici un renversement des choses, l'artiste soustrait à sa création. Ce n'est que l'organisateur de la réception d'un état naturel en oeuvre d'art. Déjà nous voyons effleurer quelques composantes qui replacèrent La Véronique en tant qu'image achiropoète dans l'art contemporain. Cependant, l'artiste contemporain ne s'arrêt pas à l'état primaire du "concret", des apparences qui ne l'intéressent pas. Il va au dépassement du réel, de la perception immédiate, ce qui est encore, après une phase nihiliste, déviante, un enjeu spirituel. Arps, toujours sur le chemin de son élévation intérieure et riche de son expérience et en tant qu'acteur principal de l'art moderne, écrivait sur la situation de la peinture en 1954 "Si dans les peintures "géométriques" de Mondrian, de van Doesburg, de Taeuber-Arp, de Moholy-Nagy, il n'y a pas de signes apparentes d'un oiseau, d'une femme ou de quelque autre élément de la nature, il y a quand-même leur totalité amalgamée dans une présence mystique, spirituelle, religieuse" [J.Arp, 1966, op.cit., p.405 et 406]. Nous voici revenus à Rouault quatre ans avant sa mort pour aborder Klein qui ne vivra que jusqu'en 1962.

         
                           1954 / Yves Klein, à ses débuts d'artiste monochrome.

                           "Le monochrome d'Yves Klein soulève la même objection de légitimité que le ready-made de Marcel Duchamp. Le problème de la légitimité posé en 1914 par Duchamp avec ses ready-made est resté en suspens jusqu'en 1954 lorsqu'Yves Klein l'a relancé publiquement avec ses compositions monochromes". C'est ainsi que Pierre Restany peut établir le lien formel entre l'oeuvre d'Yves Klein et le néodadaïsme - Duchamp ayant été DADA - qualifiant l'oeuvre de Klein de "sensibilité picturale stabilisée" ou de "sensibilité picturale immatérielle" [Pierre Restany, "60/90. Trente ans de Nouveau Réalisme". Paris, 1990, p.85 à 88. Ailleurs Pierre Restany précise "La rencontre des Nouveaux Réalismes parisiens avec le néodadaïsme new-yorkais...a donné son statut culturel, son intégrité, au langage de la transgression "hors limite" des genres d'expressivité traditionnels, elle donne libre cours à la dynamique linguistique des "expanded arts". L'assemblage, la poésie phonique, la musique concrète deviennent des formes d'art à part entière" (P.Restany, "Catgalogue de l'exposition ZERO und Paris. Und heute. ZERO et Paris. Et aujourd'hui. Bonn, 1997, p.20)]. La spiritualité dans l'oeuvre de Klein, intimement liée à sa jubilation et à ses facéties qui entrent dans les nouvelles composantes de l'attitude artistique de la seconde moitié du XX° siècle, est une réalité autour de son appartenance à l'ordre du Chevalier de Saint Sébastien qu'Arman et Tita Reut mettent en scène " Le panthéon d'Yves Klein était une ratatouille invraisemblable" [Arman et Tita Reut, Yves Klein - Substitution". Nice, 1998, p.36 et suivantes].

                              "Je ne suis pas un peintre abstrait, mais au contraire un figuratif, un réaliste"
                                                        [Yves Klein, "Dimanche 27 novembre". Turin, 1970, réédition en fac-similé]

                         Yves Klein (Nice 1928 - Paris 1962) est né d'une famille d'artistes peintres. Le père, Fred Klein, était peintre paysagiste et la mère Marie Raymonde deviendra un des premiers peintres informels [pour une information plus complète sur la famille Klein: R/Fleck, "Marie Raymond - Yves Klein". Paris, 2004]. Yves Klein fit des études à la marine marchande de Nice et à l'école des langues oreintales. Libraire, entraîneur de chevaux, il gagnera sa vie à Paris en donnant des cours de judo [tous ces éléments de biographie sont extraits  de H.Nesme, "Klein". Dans "Petit Larousse de la peinture". Paris, 1979, vol.1, p.948, 949 /// C.Millet, "Yves Klein". Paris, 1983. //  P.Restany, 1990, op.cit.  //   "Catalogue de l'exposition "ZERO und Paris. Und Heute. Zéro et Paris. Et aujoud'hui". 1997, op.cit. //  H.Weitemeier "Klein". Köln, 2006];Les premiers monochromes datent de 1946. C'est à Nice que l'aventure commence par de premiers pastels monochromes qui devaient être les premières oeuvres de la théorie de Klein sur l'imprégnation universelle par la couleur pure. En 1947 Yves Klein rencontre Claude Pascal et Arman. Débute la série des peintures sur foulard et la "symphonie monoton" (même son continu et ininterrompu de vingt minutes suivi d'un silence en temps équivalent) suivie en 1948 des premières empreintes sur tissu  alors qu'Yves Klein s'initie à la doctrine des Rose-Croix. De 1949 à 1952 il voyage de l'Angleterre à l'Irlande à l'Espagne à l'Italie pour arriver au Japon où il devient ceinture noir de judo. Pendant ce séjour japonais il expose en privé des panneaux monochromes. De retour au Japon, en 1954 [En 1954, Rotella montrait depuis un an déjà ses affiches décollées et Rauschenberg exposait ses peintures-collages à la Galleria dell'Obelisco. Yves Klein rencontrait Hains, Villeglé et trois ans plus tard, en 1957, Dufrêne qui avait rejoint le groupe], il devient directeur technique de la Fédération espagnole de judo à Madrid. Il expose et publie une première fois "Yves peintures". Pour cette publication Yves Pascal compose une "Préface Muette".  Hannah Weitemeier introduit ici les Anthropométries "Il n'est pas sans intérêt de rappeler que l'idée des empreintes de corps sur la toile est indissociable de l'entraînement de la chute libre en judo, dans la mesure où les corps laissent les empreintes visibles sur les tatamis [H.Weintemeier, 2006, op.cit. p.53] ; en fait , établissant le lien entre la chute dans le vide de Klein et les Anthropométries. En 1958 Yves Klein avait lu "L'air et les songes" de Gaston Bachelard.
                            Le Salon des Réalités Nouvelles rejette en 1955 un monochrome, incitant klein à apporter au moins une seconde couleur à son tableau. Klein s'y refuse. Cette même année il rencontre le critique d'art Pierre Restany qui va le faire adhérer "bon gré mal grè, à un mouvement qui s'intitule "Nouveaux Réalisme" [C.Millet, 1983, op.cit., p.43// L'intitulé est "Le jeudi 27 octobre 1960. Les Nouveaux Réalistes ont pris conscience de leur singularité collective. Nouveau Réalisme = nouvelles approches perceptives du réel '. Signé Klein, Hains, Dufrêne, Arman, Villeglé, Tinguely et Restany. Par la suite le groupe est élargi par Raysse, Rotella et César.].

                            Le "Vide" de Klein est souvent opposé au "Plein" d'Arman. Si le monochrome bleu est "la vitrine" de Klein cet aspect de sa création n'est pas le seul et le couleur bleue n'est pas non plus la seule sur la voie de la recherche de Klein. Le rose et l'or tiennent une place importante avec les zones de sensibilité et les peintures de feu, l'art éphémère, les cosmogonies et autres voies horticoles. Les auteurs proposent tous des regards intéressants mais à partir de maintenant c'est la réflexion exposée par Catherine Millet sur les Anthropométries qui va nous intéresser, presque comme un missel nécessaire au suivi d'une messe pourront dire certains, mais à travers un regard interrogateur et critique. Dans quelle mesure cette réflexion est-elle le reflet fidèle de l'oeuvre de Klein ? Catherine Millet argument, nous disant ailleurs "L'art est devenu contemporain en nous parlant de notre vie de tous les jours...Remontant à la chaîne des causalités, l'art "réaliste" à la mode du XX° s. fait surgir le corps vivant" [C.Millet, "L'art contemporain". Paris, 1997, p. 18 et 90]. Après l'exposé sur les Anthropométries suivons cette argumentation [C.Millet, 1983, op.cit., p.43 à 45, à partir du chapitre intitulé "Entre le monde réel et le monde des idées"]. 

                        Les Anthropométries

                           Anthropométrie a deux sens dans le dictionnaire "G.r. Antrôpos , homme et metron, mesure, 1) Branche de l'anthropologie physique ayant pour objet tout ce qui dans l'organisme humain, peut être mesuré (poids des organes, pression artérielle, etc.). 2) Anthropométrie judiciaire : méthode d'identification des criminels fondée, essentiellement, de nos jours, sur l'étude des empreintes digitales" (Larousse). Il s'agit donc de mesurer, de fixer quelque chose pour la mémoire médicale ou judiciaire. L'enjeu est recueillir des outils d'identité différents et uniques par ce qui quantifiable par la mesure ou pra l'empreinte directe, sans intervention de l'acteur qui recueille les données objectives et scientifiques : il s'agit bien de figuration du corps humain, anthropomorphe, par une autre idée ou par une autre voie que celle du portrait du corps ou du visage peint ou photographié. Les auteurs abrègent en disant "Le corps comme pinceau humain".
                               Cette reconsidération de la figuration passe par une définition de la sensibilité qu'Yves Klein énonçait en ces termes en 1959, un an après les premières Anthropométries "Cette sensibilité picturale existe au-delà e nous et pourtant elle appartient encore à notre sphère. Nous ne détenons aucun droit de possession sur la vie elle-même. C'est seulement par l'intermédiaire de notre prise de possession de la sensibilité que nous pouvons acheter la vie. La sensibilité qui nous permet de poursuivre la vie au niveau de ses manifestations matérielles de base, dans les échanges et dans le troc qui sont l'univers et l'espace, de la totalité immense de la nature. L'imagination est le véhicule de la sensibilité ! Transportés par l'imagination 'efficace), nous touchons la vie, à cette vie qui est l'art absolu lui-même".
                                 Dans l'appartement du maître de judo, Robert Godet, le 27 juin 1958, Yves Klein réalisait une performance en enduisant de couleur bleu, brevetée IKB, un modèle féminin nu, qui allait se rouler au sol, laissant l'empreinte de son corps sur les feuilles de papier appliquées au sol comme des makémonos, peintures japonaises horizontalement déroulées au sol, ensuite présentées en kakémonos, peinture japonaises tendues verticalement sur un mur [depuis 1947, environ, Jackson Pollock (expressionnisme abstrait, gestualité abstraite ou action painting) peignait ses "drippings" au sol (peinture lancées en gouttes ou en filet par un pinceau sur une toile réceptrice, c'est une gestualité projective). Je me permets d'introduire cette référence à l'art japonais en complément plausible de la remarque déjà faite sur les rapports des Anthropométries au judo et au tatamis, bien que l'essentiel ne soit pas là]. Le 23 février de l'année suivante, dans son propre appartement parisien - 14, rue Campagne-Première - en présence de Pierre Restany, d'Udo Kultermann (historien d'art), de Rotraut, le modèle, Jacqueline, se dénude et Rotraut lui enduite les seins, le ventre et les cuisses d'une émulsion de pigment bleu IKB suivant les direction données par Klein. Cette fois-ci le modèle s'appliqua cinq fois contre un papier fixé au mur. Spontanément Pierre Restany qualifia ces empreintes "d'Anthropométries de la période bleue". Pour Klein ces traces représentaient cette "santé qui nous mène à l'être". Le 9 mars 1960 les Anthropométries sont présentées à la Galerie Internationale d'Art Contemporain du comte d'Arquian. Ces expériences seront suivies de cent cinquante autre versions. Le caractère commun à toutes les Anthropométries est l'intervention uniquement orale de Klein pour certaines et à la peinture au pistolet pour d'autres [Tous les auteurs parlent de l'absence d'intervention du peintre sur les modèles. Hors, des photographies publiées par ces mêmes auteurs , montrent Yves Klein intervenant sur des corps]
        Il faut effectivement distinguer plusieurs natures d'Anthropométries.

                              Ces catégories se divisent d'abord en "ANT", soit Anthropométries sur papier "ANTSU", aussi appelées "suaires"par Pierre Restany, qui sont des Anthropométries sur tissus de soie vierge. Les formes et les techniques varient sur des formats à partir de 27, 5 x 21, 5 cm : la taille d'un mouchoir (mandylion du roi Agbar ou de Gréco pour un retour au thème d'étude).
                                        Ces catégories se divisent ensuite en Anthropométries statiques et Anthropométries dynamiques. Puis viennent encore deux autres subdivisions : les empreintes positives et les empreintes négatives.
                                    Les empreintes positives sont celles obtenues par coloration directe du modèle qui imprime lui-même sa trace sur le support vertical ou horizontal ; le support récepteur pouvant être plat ou en volume. Dans ce dernier cas le rouleau est par la suite déroulé pour une mise en aplat de l'empreinte.
                 Les empreintes négatives sont celles obtenues par la projection de la peinture autour du modèle déjà positionné sur le support. Ici c'est l'artiste qui vaporise la peinture au pistolet autour du modèle.
                      Les empreintes à la fois négatives et positives - mixtes - c'est-à-dire que l'empreinte positive - directe du corps - est contenue dans une empreinte négative - pourtour peint au pistolet
                        Les empreintes statiques sont celles de corps qui ont un seul contact avec le support vertical ou horizontal, comme un tampon en quelque sorte.
."                                                              
                            Les empreintes dynamiques sont celles qui sont réalisées à partir de modèle traînés par le peintre sur le support.

                                   A celà il faut ajouter des variations de compositions, soit de plusieurs empreintes positives, négatives, mixtes, sur un même support - empreintes juxtaposées ou adossées, voire en synesthésies organisées de corps seulement ou de corps d'autres emrpeintes du corps comme celles des mains répétées comme dans les empreintes rupestres [Pour un repère historique, l'art rupestre entre dans la cultures occidentale seulement depuis la découverte de la grotte d'Altaminra en 1879. Seconde grande étape, la découverte de Lascaux en 1940]
                                             

                    Nous sommes donc dans le cadre de la déclinaison raisonnée d'un principe de base - d'une portioncule pourrait-on dire dans un langage architectural religieux - qui élabore un principe plastique de base, complet, une tautologie plastique pour construire l'édifice - l'église - d'une réflexion dynamique sur de nouvelles approches de la sensibilité ou du sensible vers sa spiritualisation puisque l'objectif recherché est une nouvelle préhension mentale du réel pour la représentation sensible dite "transformation de l'égo".
                       Le thème de l'apesanteur est traité par les Anthropométries et Yves Klein donne un texte : "La climatisation de l'atmosphère à la surface de notre globe ...La conclusion technique et scientifique  de notre civilisation est enfouie dans les entrailles de la terre et assure le confort par le contrôle absolu du climat à la surface de tous les continents, devenus vastes salles de séjour communes...C'est une sorte de retour à l'Eden de la légende...Avènement d'une société nouvelle, destinée à subir les métamorphoses profondes dans sa condition même. Disparition de l'intimité personnelle et familiale. Développement d'une ontologie impersonnelle. La volonté de l'homme peut régler la vie au niveau du merveilleux constant. L'homme libre l'est à tel point qu'il peut même léviter ! [Pour mémoire, la lévitation faisait partie de la mystique carmélitaine. Pour Sainte Thérèse ces lévitations verticales étaient involontaires et incontrôlées - elle pouvait monter très haut et pour en limiter les effets elle devait s'ancrer au support improvisé qui se trouvait à la portée de sa main au moment de la manifestation du phénomène - d'où le silence qu'elle exigeait autour de cet aspect de sa mystique pour ne pas effrayer ses compatriotes.
                            Les témoignages de ce phénomène tout à fait réel - encore inexpliqué par la science - ne se trouvent pas uniquement dans le champ de la mystique religieuse catholique, et Yves Klein introduit la lévitation dans sa propre mystique en tant qu'outil de loisirs ordinaires du futur à partir du sens qu'il donne à ses Anthropométries dont les traces sont dégagées des contingences de la pesanteur ou d'une certaine  perception passéiste du réel .Yves Klein introduit la lévitation comme une forme nouvelle d'appréhension du réel artistique et culturel ! Qu'en penserait Sainte Thérèse ? Et quel lien informel alors introduire dans cette réflexion à travers deux mystiques qui se retrouvent finalement, bien qu'étrangère ou apparemment étrangère l'une à l'autre, autour de formes Eucharistiques à trois cents ans d'intervalle et dans des approches  "lévitatoires" où La Véronique est encore sur le chemin ? ] Occupation : loisirs...Les obstacles autrefois subis dans l'architecture traditionnelle sont éliminés".

                    La réflexion de Catherine Millet

                     Catherine Millet par d'un constat "Quand aux Anthropométries, elles rendent le corps humain à l'état naturel de la nudité". Mais la réflexion de cet auteur bien connu se transporte ensuite sur un parallèle entre l'Albertine de Proust et La Véronique de la montée au calvaire, restant ainsi dans la lignée des auteurs qui n'ont en général jamais envisagé les autres formations iconographiques. C'est-à-dire que l'espace de réflexion de Catherine Millet est compris dans ce créneau historique du XV° s. - grosso modo  entre La Véronique anecdotique de la formation théâtrale et la bifurcation iconographique de Pontormo. En revanche, comme nous allons le voir, Catherine Millet en revient par sa réflexion - y a t-il là une volonté de méthode de l'auteur? - aux sources de la légende et au thème central, ce qui la distingue et la singularise très nettement des études d'autres grands auteurs contemporains auxquels elle fait cependant appel, presque par politesse, aurais-je tendance à dire. La réflexion de Klein utilisée par C.Millet , joue un peu le rôle de tendeur vers les autres formations iconographiques de La Véronique que la présente recherche a pu - pour la première fois - mettre en évidence d'un point de vue iconologique. L'appareil scientifique de C.Millet se trouve donc, naturellement et par l'objet même de son étude sur Klein, heureusement élargi. Conformément à mon souci de livrer aux psychologues poursuiveurs de cette recherche un appareil scientifique d'étude d'histoire de l'art le plus précis possible, je vais donner de larges extraits du texte de Catherine Millet. Cette méthode - un peu à la manière du commentaire de texte - je le pense, me permettra de bien faire comprendre pourquoi cette réflexion de Catherine Millet extrêmement originale et pertinente s'inscrit parfaitement dans le cadre de ce travail. 
                                 "Dans le dernier tome d'A la recherche du temps perdu, le narrateur qui jadis a aimé, a perdu l'objet de cet amour, puis par l'effet du temps, a effacé jusqu'au souvenir de cet objet, voit ressurgir, à la faveur d'un incident, son passé. Alors commence le travail d'écriture qui ressuscite ce qui n'est plus. Le temps retrouvé qui raconte, comment meurt celle qui en sera l'héroïne. Et Proust fait cette découverte : "La vraie vie, la vie enfin découverte et éclaircie, la seule vie par conséquent réellement vécue, c'est la littérature"...Sur le chemin du calvaire, une sainte femme essuie le visage du Christ dont les traits demeurent miraculeusement imprimés sur le linge...(C.Millet cite ici et donne un extrait de l'étude d'André Chastel sur La Véronique)...Or rien n'est plus frappant, lorsqu'on considère l'évolution iconographique, que la présence de plus en plus triomphale de cette femme, vrai sujet de la peinture, au détriment de l'empreinte sacrée qui n'est bientôt plus qu'un accessoire. La Véronique est presqu'une usurpatrice. Par son nom déjà elle s'est appropriée les termes qui désignaient l'image de la Sainte-Face, Vera Icona. Ainsi cette allégorie de l'art impose t-elle le corps d'une femme quand disparaît le corps de Dieu, fait homme...Mes deux histoires ont une commune morale. La mort, celle d'Albertine dans le récit de Proust, celle du Christ dans la peinture religieuse, est la condition de l'oeuvre d'art".
                              Déjà, à la lumière de cette étude historique qui précède nous remarquons que Catherine Millet ne considérant que la Montée au Clavaire fait - par le jeu de correspondances informelles - "référence" à la Légende Dorée de Jacques de Voragine de Véronique, souffrant de la perte physique de son maître, voulant en garder la présence par celle de son portrait, puisqu'elle parle d'une naissance de l'image par l'absence. C'est-à-dire que la perte de l'objet induit une recherche de  l'image et nous retrouvons en fait  ce que Mélanie Klein  (la psychanalyste britannique) a formuler comme le propre de la névrose.
                              Voilà que la perte de l'objet induit une préhension morbide des Anthropométries, justifiée par la pensée même d'Yves Klein. Catherine Millet poursuit "Toutefois, le peintre du Vide devait être particulièrement sensible à cet effet meurtrier de la représentation. Klein avait été bouleversé par les ombres soufflées d'Hiroshima, ces corps pris dans l'explosion de la bombe atomique et dont la silhouette, projetée sur le mur, s'y est définitivement fixée comme une pellicule photographique. Ce sont là aussi des images surgies de la désintégration des corps qu'elles reflètent. Une des plus belles Anthropométries s'intitule Hiroshima". C.Millet énonce alors différents types d'Anthropométries en faisant appel aussi aux pratiques des acteurs japonais qui déposent l'empreinte de leur face fardée sur un linge pour retrouver, d'une représentation théâtrale à l'autre, le modèle de leur maquillage. Aux anthropométries positives elle donne en suite les Anthropométries négatives pour un glissement du texte vers une assimilation à une imagerie contemporaine de La Véronique exhibant une figure féminine qui s'éclipserait comme le Christ se serait éclipsé de La Véronique médiévale dans la formation de Pontormo. Ceci n'était qu'une illusion de la perception qui, nous l'avons vu, était rectifiée par les inscriptions qui redonnaient sa véritable place à la sainte Face [dans l'oeuvre de Pontormo, la bizarrerie, là où on ne l'attend pas, surprend mais existe toujours. C'est une composante incontournable de son art ciblée par tous les iconologues. Et nous voyons ici pourtant que les auteurs, même les plus avertis, s'y laissent prendre. L'héroïne de l'image n'est pas la grande figure de Véronique mais celle difficilement perceptible de la sainte Face]. Mais par ces hasards des études justes, revenant à Klein Catherine Millet retrouve l'esprit eucharistique "Certaines anthropométries ne ressemblent-elles pas à la robe de cette Véronique superbe que Pontormo a dressé comme une figure de proue dans l'église Sainte-Marie-Nouvelle [Là encore, le commentaire s'impose. A la lecture de la peinture de Pontormo nous avions analysé la technique de projection en avant de la figure agenouillée de Véronique comme un caractère dominant de la naissance de la peinture maniériste à la conquête de notre espace réel. C.Millet ayant perçu cet aspect en fait une "figure de proue] et qui aurait été arrachée et retournée ? En tout cas, c'est sur cette impression que Klein fonde son argumentation...Ces corps féminins sont des rescapés  de la traversée du vide; ils témoignent, c'est l'expression employée par Yves Klein, de "la résurrection de la chair".
                            En fait, Catherine Millet procédant par inversion des sources, c'est-à-dire par recherche de matériaux d'études pouvant coexister avec les apports directs de Klein étudiés ou trouvés en amont, propose des voies de réflexion annexes alors que les voies connexes sont tout à fait suffisantes. Les éclairages donnés par référence à Proust et à La Véronique sont un apport réel à la compréhension de cette oeuvre de Klein dont les textes même du peintre, qui paraissent farfelus, peuvent être des obstacles en première lecture, surtout dans un contexte où le religieux est totalement reçu comme obsolète. C.Millet inscrit très intelligemment l'oeuvre de Klein dans un mouvement de la spiritualité contemporaine loin de la diabolisation dont l'artiste fut souvent directement ou indirectement l'objet (cette dernière remarque vaudrait pour d'autres grands artistes diabolisés du XX° siècle comme Balthus dont le rapport à l'art sacré a rarement été perçu par ses contemporains, et pourtant ce n'est presque que ça).

                              Le "vampirisme"

                             La réflexion de Catherine Millet nous a fait glisser, insensiblement, vers le champ de la réflexion de la psychanalyse. Mon propos n'a pas été de développer ce vecteur de la réflexion contemporaine, puisque les psychologues auraient du s'en charger. L'ont-elles fait ? je n'an sais rien.
                                Dans son chapitre sur le vampirisme Catherine Millet cible très justement que l'art contemporain qu'elle appelle "avant-garde" "s'est employé à ranimer les mythes archaïques". Et l'auteur en arrive à Jung, lui prêtant des attitudes délicieuses, si ce contemporain de Freud avait eu connaissance de l'oeuvre de Klein, "Jung aurait fait ses délices des déclarations anthropophagiques de ce dernier" ("L'ère anthropophagique que nous allons traverser bientôt n'est pas de nature cruelle ni féroce ni inhumaine : bien au contraire, elle sera l'expression vécue ou plutôt l'assimilation d'une synthèse biologique" précisant que le vampirisme est l'une des plus impressionnantes Anthropométries de Klein. Puis, Catherine Millet passe à Freud "Le fantasme d'anthropophagie peut être interprété comme exprimant el violent désir de compenser une perte". Nous voilà donc retourné sur le champ de la névrose. Puis-je poser la question : cette aspect "névrotique" deviendrait-il obsessionnel par le seul déploiement, en exemple, des différents aspects presque tautologiques des Anthropométries ? 


                         Les Anthropométries, La Véronique et des rapports au monde épiphanique de James Joyce
                         [James Joyce (1882-1941) est né dans la banlieue sud de Dublin dans une famille bourgeoise aisée. Porté à gaspiller l'argent et à boire dans des conduites marginales, Joyce quitte l'Irlande en 1904 pour Trieste, Zurich et finalement Paris où il reste de 1920 à 1939. Il rentre ensuite à Dublin où il meurt à 59 ans. En 1904 il publia "Portrait of artist" qui est reçu comme "une projection presque mythologique de lui-même". Avant 1906 il commence "Stephen le héros". C'est à partir de ce manuscrit en grande partie jeté au feu qu'apparaissent par la suite les théories de l'épuphanie érigées en véritable principe d'écriture par "Ulysse" qu'il commence en 1913 "oeuvre où la réalité s'établit sur le plan du symbole...ni le temps ni l'espace n'ont de sens : l'instant, le point peuvent réduire eux-mêmes des immensités.". "Ulysse", le livre de  dix huit livres écrit en dix huit langages " (Joyce), fut interdit et ne put être publié qu'en France en 1922. En 1932 le livre est l'objet d'un procès aux Etats Unis. La première traduction partielle de l'ouvrage date de 1929. De 1924 à 1938 "Monsieur Joyce" et "son travail en cours" absorbèrent l'attention des milieux littéraires parisiens". (Pour l'essentiel de cette partie bibliographique et des citations : J.J.Mayoux, "JOYCE(James) 1882-1941". Dans, "Encyclopédie Universalis". Paris, 1992, Vol.13, p.120 à 125).
                                    Aux sources du mot "épiphanie" on trouve Antiochios 1°, roi de Commagène (actuelle partie nord-ouest de l'Irak entre la Perse et le monde hellénistique où se trouve la ville d'Edesse du mandylion du roi Agbar) qui règne de 69 à 38 avant Jésus-Christ. Allié des rois Hellénistiques comme des Romains, Antiochios 1° est le roi Epiphane: "...véritable culte de la personne...Théocrate (pouvoir venant directement de Dieu) où fusionnent les rituels perses et hellénistiques...Le Grand Roi Antiochios, Dieu, le juste, l'Epiphane...il est Dieu, matérialisé par l'apparition divine de sa personne ou épiphanie" (cf. H.Stierlin, "Grèce d'Asie - Arts et civilisations classiques de Pergamme à Nemroud Dagh". Fribourg, 1986, p.200).
                                        L'épiphanie est liée aux Théocraties des royaumes d'Asie Mineure, principalement de culture hellénistique.
                                                  Dans l'épisode des Rois Mages de l'Evangile de Mathieu (Mt 2, 1-10) (en fait les mages envoyés par le roi Hérode), le mot épiphanie n'apparaît pas. Toutefois la divinisation de Jésus est accomplie lorsque les mages - après avoir suivi l'étoile depuis l'Orient - découvrent l'enfant Jésus dans la maison de Marie et se prosternent devant lui en déposant les offrandes de leurs trésors : l'or, l'encens et la myrrhe. L'histoire de la Crèche se trouve dans l'Evangile de Luc "...elle enfanta son fils premier-né. Elle m'emmaillota, et le coucha dans une crèche, parce qu'il n'y avait pas de place pour eux dans l'hôtellerie" (Lc 2, 6)]

                                    "Il s'éloigna de quelques pas rapides, et ses yeux s'animèrent d'azur en traversant un large rayon de soleil. Il fit demi-tour puis s'éloigna à nouveau.
                              _ Elle se meurt, dit-il si elle n'est pas déjà morte.

                                          " De ruelle en ruelle, de l'Irlande à l'Ulster
                                            Le cri de la catin tissera le suaire "

                       [James Joyce "Ulysse". Nouvelle traduction sous la direction de Jacques Aubert. Succession James Joyce 1936, Paris 2004, p.52 et 53.
                                      Cette référence aux épiphanies de Joyce est fondée. Ayant rencontré des artistes qui ont connu cette période, et parfois Klein, comme Henri Chopin - qui disait que Klein sentait très mauvais à cause d'une maladie de sang qu'il avait mais que  c'était "Le meilleur des polychromes" (il n'était pas le seul) - avec qui j'ai échangé une correspondance après l'avoir longuement entretenu avec ma soeur Valérie, chez lui, lorsqu'il habitait encore la banlieue parisienne avant d'aller vivre chez sa fille en Angleterre   - tous connaissaient et citent souvent Joyce dans leurs sources à travers les épiphanies, voire donnnent une point de départ au même titre que l'oeuvre mal connue par nos générations de Vasarely avant l'art optique (source Pierre Garnier). En comparant les données théoriques de l'épiphanie j'ai été surpris de l'étrange parenté qu'il y avait avec les Anthropométries et les cosmogonies de Klein. Parti de ces enquêtes que j'avais menées auprès de ces artistes pour la rédaction de ma thèse (voir ce compte-rendu sur ce blog à la page Pierre Courtaud au mois de mars 2012) sur l'architecture polychrome peinte de la Renaissance à nos jours, j'ai complété mon analyse théorique avec les lectures de l'oeuvre de Joyce par Jean Paris "Joyce par lui-même ". Bourges, 1966. Tout comme Rouault entrait dans des références culturelles d'oeuvres ou d'auteurs qu'il n'avait peut-être pas connus mais qu'il rencontrait, soit directement soit par intermédiaires comme dans "l'air du temps" - dont on reconnaît formellement les sources - je n'ai aucune certitude que Klein - qui absorbait tout, comme une éponge - ait connu directement les épiphanies par la lecture de Joyce. C'était un discours théorique qui circulait dans le milieu de ces artistes beaucoup plus nombreux et "grouillants" que certains écrits ciblés d'auteurs - ayant réussi à avoir pignon sur rue - nous le transmettent. Pour un regard qui commence à se détacher des intérêts d'héritages de cette période, mais toutefois certainement encore loin d'être exhaustif, on peut consulter A.Labelle-Rojoux, "L'acte de peindre. Happening - Futurisme - Dada - Fluxus - Body Art - Performance - Futurisme - Bauhaus...". Paris, 1988] 

                               Ses yeux écarquillées regardaient sévèrement par-delà le rayon de soleil dans lequel il s'était arrêté.
                  .......................................
                                _ L'histoire, dit Stephen, est un cauchemar dont j'essaie de m'éveiller;
                                Du terrain de jeu un grand cri s'éleva. Coup de sifflet à roulette : but. Et si ce cauchemar vous renvoyait au coup de pied en traître ?
                                _ Les voies du créateur ne sont pas les nôtres, dit M.Deasy. Toute l'histoire humaine s'avance vers un seul but, la manifestation de Dieu.
                                D'un coup de pouce Stéphen montra la fenêtre, et dit:
                                _ C'est ça Dieu.
                                Hourra ! Quéééé ! Youppiiiii !
                                _Quoi donc ? Demanda M.Deasy.
                                _Un grand cri dans la rue, répondit Stephen, en haussant les épaules."

                  Dans leurs mécanismes les épiphanies fonctionnent comme ds instants récupérés en sédiments mis à la suite les uns des autres sans ordre ni logique apparente et formant un sens par les oblitérations qui les relient dans la suite - en dehors de toute logique apparente - du récit comme ici le sacré - et peut-être une allusion à Véronique [Dans Finnegans Wake (1939) Joyce associe des sédiments du langage du quotidien, récupérés dans des langues différentes, avec des sens étrangers les uns aux autres. Ce paroxysme du systèmes eut beaucoup d'importance pour achever la configuration d'une nouvel état d'esprit poétique propre au XX° siècle ( sur les bases des Voyelles de Rimbaud  et de ses compères poètes Zutistes, puis de Mallarmé avec ses mécanismes de mise en page jusqu'à l'OuLiPo de Raymond Queneau et de son entourage) l'urruption de la poèsie du son, du mot phonétique et de la poésie "mécanique" des performances créées dans l'entourage immédiat de Klein (Nouveaux Réalismes) ou antérieurs, ou plus distants, à la rencontre d'autres sources comme les courants poétiques issus de Tristan Tzara en 1916 expliquant la nouvelle esthétique de la Poésie Gymnastique, Les concerts de voyelles, poèmes bruitistes, poèmes statiques, arrangements chimiques, etc... d'Hausmann (1920), de Pétronio avec sa "Verbophonie" (vers 1930) jusqu'à Isidore Isou publiant en 1947 la seul numéro de "La dictature lettriste". Ces courants rencontrent l'oeuvre de Joyce dans les années 1950. Henri Chopin, Pierre Garnier, François Dufrêne, etc...arrivent dans ce carrefour des mouvements : on se rapproche de cette année charnière de 1960 qui est devenue un grand noeud historique de la culture européenne et transatlantique. En 1969, dans un grand théâtre londonien, John Lenon ainsi que le groupe constitué autour de Harrisson avançait que Chopin avait découvert les voies de leur musique ( de la musique techno en général). A près vérification auprès d'Henri Chopin, le poète performeur de la dactylopoésie et de l'anthologie de la poésie sonore (1979), ce dernier confirma cette anecdote mais il réfuta toute implication dans le  "show bizz" qui ne l'intéresse pas.]. Dans le texte il est aussi question de marchands juifs - relié au monde du jeu par le mot symbolique "but, par-delà la lumière et la fenêtre d'où arrivent à la fois le son et l'image que l'autre en voit pas (oblitération), laissant le champ ouvert à une autre réponse "un grand cri dans la rue" écho du cri de la catin. 
                       Tout ça fonctionne suivant trois phases théoriques appelées Integrita, consonantia et quidditas, pour une création esthétique finale.

                               Integritas :
                                                La langue traitée comme un sédiment peut désigner des objets. Ces objets désignés seront dans un premier temps appréhendés par une ligne "de démarcation tracée autour de l'objet". L'objet perçu comme un tout, dans son intégrité extérieure.

                               Consonantia :
                                                   Le héros d'Ulysse, Stephen, poursuit le roman :

                                                     "Veux pas venir à Sandymount,
                                                       Ma-deline la jument ?

                                                   Le rythme commence, vois-tu. J'entends. Tétramètre acalectique d'iambes marchant au pas. Non au galop : déline la jument.
                                                    Ouvre les yeux maintenant. Oui. Un instant. Et si tout avait désormais disparu ? Si, les rouvrant, je me trouvais à jamais dans le noir diaphane, Basta ! Voyons voir si je vois encore.
                                                Vois maintenant. Tout a subsisté sans toi : et à jamais pour les siècles des siècles."
                       
                                                    Il s'agit d'appréhender le rythme de la structure qui se définit à partir de la réunion des lignes qui figurent l'objet (cheval figuré par son rythme) : la synthèse de la perception immédiate est suivie d'une analyse de l'appréhension " Après avoir senti que cette chose est une, tu sens maintenant que c'est une chose.Tu l'appréhende complexe, multiple, divisible, séparable, composée de ses parties, résultat et somme de ces parties harmonieuses". Par la substitution de l'épiphanie (le verbe à l'objet), la transformation commence à opérer sur la première perception du sensible. La vérification du "voir" se fait après la perte de la lumière, du visible. Et ce qui se voit maintenant est la réalité éternelle.

                                 La quidditas :

                                                     Saint Thomas, en pensée scolastique, parle de l'identité de l'objet en termes de "clarté" "L'instant dans lequel cette qualité suprême du beau, ce clair rayonnement de l'image esthétique se trouve harmonieusement appréhendé par l'esprit (le rayonnement du passage précédent aux rythmes qui se substituent à la représentation du cheval de ce second extrait), tout à l'heure arrêté sur l'intégralité de l'objet et fasciné par son harmonie " jusqu'à la disparition physique de l'image (mort de l'objet pour une nouvelle image mentale de celui-ci) pour une intériorité et un fonctionnement esthétique perpétuel. Joyce "Son âme, son identité se dégage d'un bond devant nous du revêtement de son apparence. L'âme de l'objet le plus commun dont la structure est ainsi précisée prend un rayonnement à nos yeux, et voici que l'objet accomplit son épiphanie".

                                Je peux donner un premier schéma simple d'accès, mais non exhaustif : 

Préhension du réel...perte de la lumière...arrêt, oblitération, voire mort...transformation accomplie
                                                  (Temps de l'épiphanie)                                 (Epiphanie accomplie)

                        Jean Paris ajoute un commentaire [J.Paris, 1966, op.cit., p.57) :
                                  "Qu'est-ce à dire ? Que ce phénomène est aux choses ce qu'est la mort à l'homme : l'instant de la paralysie, la minute de vérité [l'oiseau face au serpent du texte de la Sainte Face dans la dernière composition tautologique du Misere de Rouault]. Sommet de l'art, l'épiphanie, en révélant le monde dans sa réalité secrète, le réduit à sa pure essence. C'est-à-dire qu'elle concilie le classicisme  de la forme et le romantisme de l'expérience, car si, d'une part elle immobilise son objet dans une expérience immuable, d'autre part elle est cette "soudaine manifestation spirituelle" (citant Joyce), cette visitation fulgurante dont on rêvé, de Noavlis à Rilke, tous les poètes mystiques".

                       Joyce donne une épiphanie accomplie par Stephen (Stephen le Héros) : "Représente toi mes regards sur cette horloge comme des essais d'un oeil spirituel cherchant à fixer sa vision sur un foyer précis. A l'instant où ce foyer est atteint, l'objet est épiphanisé. Or c'est dans cette épiphanie  que réside pour moi la troisième qualité, la qualité suprême du beau". Voici en quelque sorte la nouvelle esthétique achiropoète en place pour le plasticien : le regard fixé sur l'objet et le rapport des objets entre eux, voire du sujet au support de l'objet du sujet (le regard sur l'horloge). [Je ne voudrais pas aller trop loin dans les références  poétiques et littéraires qui ont précédé ces inventions lorsque les auteurs ne s'en réclament pas eux-mêmes. Toutefois, si la référence à "l'objet" est tenue vers "un autre chose" et si le mécanisme  est à plus forte raison, même schématiquement, la réduction de l'objet à un objet unique vers autre chose nous sommes bien dans l'héritage rimbaldien du double concept. En premier la réduction du concept avec des poèmes comme Le balai ou La chaise réutilisé par Joseph Kosuth exposant une chaise, sa photographie et sa définition dans le dictionnaire (1985) : le mot qui désigne un ensemble est le mot conceptuel et la réduction de ce mot, à la recherche précise de l'image de l'objet dont il est question constitue l'acte de "réduction du concept". En second, avec la Lettre à Georges Izambard du 13 mai 1871 Rimbaud prend un autre point de vue, celui du rejet de l'enseignement (Vous n'êtes pas enseignant pour moi) par la recherche du sens caché  derrière l'apparence des réalités avec des arguments qui vont de la reconsidération du "JE" identitaire (JE est un autre) à l'objet conceptualisé dans un cycle de mutation, de transformation (bois à violon avec personnalisation du verbe narguer) ou unitaire (crayon seul), au langage zutiste ou zutique  (ergotent) à l'abstraction de la pensée rapportée à un acte concret quantitatif (soulignez ni trop de la pensée, après le crayon).
               "JE est un autre. Tant pis poue le bois qui se trouve violon, et nargue aux inconscients qui ergtotent sur ce qu'ils ignorent tout à fait.
                 Vous n'êtes pas enseignant pour moi. Je vous donne ceci : est-ce de la satire, comme vous diriez ? Est-ce de la poésie ? C'est de la fantaisie toujours - Mais, je vous en supplie, ne soulignez ni du crayon, ni trop de la pensée".
                  La philosophie moderne permet d'approfondir ce regard sur le chapitre consacré à "imagination et immobilité" dans "L'air des songes" de Gaston Bachelard. Remarquons toutefois que , Bachelard, ce boulimique de poésie, ne cite par la La lettre à Georges Izambard bien qu'il commence son chapitre par ces phrases "Le vocable fondamental qui correspond à l'imagination, ce n'est pas "image", c'est "imaginaire". Grâce à "limaginaire", l'imagination est essentiellement ouverte, évasive. Elle est dans le psychisme humain l'expérience même de l'ouverture, l'expérience même de la nouveauté". Il est vrai que Bachelard oppose ensuite la version traditionnelle de la psychologie  "mobilité de l'image" à celle qu'il veut introduire en élément primordial "mobilité spirituelle" : Rimbaud: "...ne soulignez ni du crayon, ni trop de la pensée".
                  Pour une approche du concept bachelardien on peut conculter : J.C.Pariente, "Le vocabulaire de Bachelard". Paris, 2001, p.5 et 6 au paragraphe "Concept".]

                 Depuis l'appréhension de la forme, au recueil de l'image et à sa présentation en eouvre d'art achiropoète, il s'agit bien du même phénomène performant, ou d'une phénomène analogique, depuis l'épiphanie Joycienne à l'esprit dans lequel Klein recueille ses Anthropométries, suivant l'analyse "morbide" ou "névrotique" de Catherine Millet.

                   "L'air et les songes" : Klein et Bachelard, Joyce.

                      Après avoir lu "L'air et les songes" de Gaston Bachelard, qu'on lui avait offert pour son anniversaire le 28 avril 1958, Yves Klein déclare "Je dois dire que ça a été pour moi une révélationde ne plus me sentir tout à fait seul" [R.Fleck, 2004, op.cit., p.151]. Les trois premiers chapitres de ce traité philosophique sont Le rêve de vol, La poétique des ailes, La chute imaginaire et plus loin Nietzsche et le psychisme ascensionnel, le ciel bleu, Les Constellations, et tout à la fin La déclamation muette. C'est à partir de juin 1958 qu'Yves Klein se lance dans ses premières expériences du vide et des Anthropométries.

                         Le lien épiphanique avec la philosophie bachelardienne, lue par Yves Klein, se précise au chapitre de la chute imaginaire lorsque Gaston Bachelard en fait appel aux "Humes à la nuit" de Novalis [G.Bachelard, "L'air et les songes". Paris, 1943-2007, p.139] "Si l'univers est en quelque sorte un précipité de la nature humaine, le monde des dieux en est la sublimation...Les deux se font uno actu". Bachelard commente  "La sublimation et la cristallisation se font en un seul acte. Pas de sublimation sans un dépôt mais pas non plus de cristallisation sans une vapeur légère qui quitte la matière, sans un esprit qui court au-dessus de la terre". Nous comprenons bine sûr que cet esprit c'est la couleur "bleue" ou "or"  de la "sensibilité immatérielle", du "saut dans le vide" de Klein.

                               "Et Véronique  est encore sur le chemin :
                                       "De ruelle en ruelle, de l'Irlande à l'Ulster
                                         Le cri de la catin tissera le suaire".

                           Si nous en revenons à l'image première de La Véronique de Jacques de Voragine nous avons bien, comme chez Joyce, un parcours du réel à la formation esthétique. L'épisode de la "servante de Jésus" étant la préhension d'une réalité (réalisme) suivi de l'épisode de l'absence, soit de la mort de l'image du "maître" (moment épiphanique) pour une reconstitution esthétique sur une toile : l'imagea achiropoète du regard de Jésus fixé sur la toile de Véronique et y transposant lui-même sa face par un simple regard posé sur le linge (épiphanie accomplie renvoyant à l'exemple de l'horloge de Joyce, moment aussi uno actu ciblé par Bachelard).
                              En parallèle avec l'art d'Yves Klein, le peintre rencontre le modèle réel et nu, qu'il appréhende seulement du regard (réalisme). Suit une période de transformation de la peinture bleue : soit le modèle est cerné par la peinture bleue, soit le modèle s'enduit lui-même de peinture bleue sur les instructions du peintre qui n'intervient pas, ne faisant qu'indiquer les endroits où le modèle doit lui-même appliquer la peinture. Moment de mort du modèle à la fois par sa transformation dans le réel et par la substitution de l'acte de peindre délégué, rendu au modèle qui se transforme lui-même. C'est bien une reprise de Jésus saisissant le linge, imprimant lui-même sa Face - suivi de son empreinte sur le linge. Lorsque le modèle se retire, il ne reste que l'empreinte : l'épiphanie est accomplie, le corps comme la Face est divinisé. Et peut-on conclure que la vie qui commence est celle de la "vraie image", de l'écriture et de sa représentation ?

                                 Si nous suivons les autres formations théâtrales ou reliquaires de La Véronique nous pouvons remarquer que la réalité de Jésus montant au calvaire n'est appréhendée que par sa seule face saignante et en sueur, normalement transformée par la douleur. L'acte d'essuyer la Face de Jésus est aussi un temps épiphanique puisque c'est  face à la réalité de la mort - déjà intégrée comme irrémédiable inscrite dans un cycle - que la Face est recueillie (peinte dur le linge) avec un portrait qui s'imprime de lui-même et qui va progressivement devenir l'enjeu chrétien symbolique du mystère de la transsubstantiation - établi comme une dogme par deux conciles du XIII° siècle - de la parole qui se fait chair et enfin de la transformation en corps et sang du Christ sans changement de forme, le temps de l'Eucharistie de la messe au-delà, avec le pain et le vin en substituts.

                                    Nous échappons alors à l'idée originale des rois épiphanes pour une récupération symbolique à travers la formation d'une héroïne qui va successivement céder sa place et donner son nom à des représentations symboliques et allégoriques pour finir par devenir  une authentique figure de mythe liée à la douleur et au soulagement des ses maux avec la représentation de l'infirmière de Rouault qui porte le souvenir de la crucifixion sur son voile : la croix peinte au front voilé de Véronique.

                                       Le lien réel de La Véronique entre le Christianisme du Moyen Age et la spiritualité artistique et philosophique du XX° s. - dont l'oeuvre de Rouault peut faire figure de véritable articulation mystique  - réside dans l'état spirituel du dessaisissement  du réel au profit d'une spiritualisation ou sublimation de l'absence  (état névrotique) ou de la mort par une reconstitution mentale instantanée d'images réalisées vers une guérison spirituelle, transitant par le réel (éviction de la folie), et une "rédemption" sans intervention avouée de l'homme : un besoin (nécessaire) d'intervention divine symbolique sublimant l'histoire existencielle et singulière de l'homme dominant les autres espèces aux sources des mythes fondateurs de sa place dans le monde cosmique et non pas terrestre uniquement ; retenant l'idée bachelardienne que c'est la mobilité de l'imagination qui est primordiale mais qui pour la représentation passe nécessairement par la mobilité de l'image. C'est-à-dire par les apparences des formations iconographiques et des écoles que nous avons vues depuis les trois images achiropoètes  fondatrices : le voile de Véronique, le Mandylion du roi d'Edesse Agbar, le Saint Linceul de Turin.

                        Le N°3.6/7/8 de la revue DOC(K)S - Hiver 94

                               Comment l'art contemporain répercute ces extraordinaires avancées spirituelles de l'art et de la pensée occidentale du XX° siècle ?

                               On ne peut pas dire que le conceptuel (en dehors du champ rimbaldien et peut-être bachelardien) nous fasse avancer vers des voies particulières de la connaissance ou de la méconnaissance. Tout au plus ce mouvement sans esthétique particulière oeuvre pour des formes, pur de "portes ouvertes enfoncées", des esthétiques et des idées qui peuvent séduire, voire intéresser avec de brillants représentants et qui se déclinent aussi et malheureusement en abîmes rétro-décoratifs de l'Art Optique dévoyé avec ses plus médiocres sujets. Cet art qui absorbe, qui récupère tout et qui ne propose pas grand chose, constitue en lui-même une "absence" : "L'art conceptuel ne s'attache pas aux formes ni aux matériaux, mais aux idées et au sens. Aucn moyen d'expression ni aucun style ne le définissent...Le musée d'art a, par bien des aspects, remplacé l'église et le temple : on y observe le même silence révérencieux, et le même fétichisme dans la présentation des objets...On peut dire que l'art conceptuel a à la fois atteint son apogée et amorcé son déclin entre 1966 et 1972...mais on peut considérer que l'art conceptuel a existé dès le début du siècle...les ready made de Duchamp". Cette préface sonne le glas de ce qui n'existe déjà plus qu'à l'état de fantôme et Duchamp devient une sorte  de Véronique recueillant tout sur son voile, de  DADA à Nouveaux Réalismes à Conceptuel, allons ! nous allons bien trouver d'autres...états d'absence !..
                            L'art corporel  en France ou body art chez les anglo-saxons oeuvre sur le corps, intervient physiquement sur les corps : c'est le contre-pied de La Véronique, c'est aussi sa négation spirituelle car l'image du corps martyrisé ou transformé reste celle du corps martyrisé ou transformé dans l'état. Pierre et Gilles assassinent Véronique !
                                     De l'absence de l'art conceptuel à la martyrologie de l'art corporel, La Véronique projette encore sa silhouette sur l'art de l'extrême din du XX° siècle, grignotant celui du début du XXI° siècle.

                                    La revue DOC(K)S s'était proposée d'être la récipiendaire, sans sélection, de tous les envois "De cette invite, lancée par Mail art (sic) au Printemps dernier est né le "numéro chantier", HarDOC(K)S nous n'avons exercé aucune forme de censure. Et comme toujours ce qui fait sens est l'objet final résultant, par nous envisagé comme le miroir d'une rencontre virtuelle et d'un échange autour d'un souci et d'un plaisir à partager".
                                       Le livre, la revue X, comme un voile de Véronique...!

                                       Moment d'arrêt, dominant le désir et la répugnance. Nous pouvons entrer dans ce dialogue expressionniste où les artistes allemands, jusqu'à Die Brücke exploraient leurs capacités à contrôler, à dominer et finalement à exploiter en outils créatifs ces deux pôles du tiraillement humain. Ludwig Kirchner "La peinture est l'art qui transcrit sur la toile ce que reçoivent les sens" entrant en filiation romantique de ce que Caspar David Friederich - peintre romantique allemand de la première moitié du XIX° siècle - avait énoncé "Ce qui est essentiel, ce n'est pas l'objet en soi, mais le rapport avec son âme. N'importe quel aspect de la nature, pourvu qu'il soit profondément senti, peut devenir un objet d'art "et Lamartine, entre deux "Objets inanimés avez-vous donc une âme qui s'attache à notre âme et la force d'aimer?" [...
                  Chaumière où du foyer étincelait la flamme,
                  Toit que le pèlerin aimait à voir fumer,
                   Objets inanimés, avez-vous donc une âme
                   Qui s'attache à noter âme et la force d'aimer ?

                   J'ai vu des cieux d'azur, ou la nuit est sans voiles,
                   Dorés jusqu'au matin sous les pieds des étoiles,
                                                                                      ...
                                                    Alphonse de Lamartine, Milly ou la Terre Natale ]

                          De quel objet d'agit-il ?

                        C'est la question que je me suis posée en feuilletant le numéro cité de la revue DOC(K)S. Le  second de couverture engage vers le "X" et je n'ai vu que très peu dans le numéro 3.6/7/8/ de cette revue "très comme il faut" où le libidineux sexué côtoie l'amoureux le plus ethéré : le cul se décline en sublime, s'épiphanise ! 
                                               

                                      L'absence de l'amant-souris (Mickey) se fige en érection dessine sur les draps du lit de La Véronique ayant quitté son voile dans une sorte de composition ambiguë au possible, rendant le phallus erectus à l'héroïne. Véronique usurpatrice de la vraie icône...

                                       L'ombre chinoise épiphanise la main pour des projections animistes

                                         La culotte étendue  se colore de sang, comme un linge souillé sans ordre, un torchon en somme, évocation sanglante de la chair, de la souillure peut-être ?
                                       
                                       Le suaire ou le linceul fait remonter de la mort des formes entremêlées en fragments de membres, en corps transformés, au réel...épiphanisé ou reliqué ?
                                                    
                                    Le tarot de Sade devient l'instrument d'une nouvelle morale.

                Les spermes de Joseph Beuys et de Marcel Duchamp sont recueillis sur des supports d'images

                      Tout ça ne nous amène t-il pas à cette images "Passion" à l'enseigne aveugle de la tautologie FLUXUS "MAIL-ART IS A PASSION TO BUILD A DREAM ON" du numéro 2/3 (numéro précédant la revue 3.6/7/8/ qui lançait par messagerie électronique, l'invite du "Numéro Chantier" ?



                                            LA PAROLE EST AUX PSYCHOLOGUES

                                                                   La Véronique

                                                     Image ou non de la représentation


                                                                             ?
 Pour un retour en lien
avec quelques articles sur les 143 de ce blog, qui présentent des œuvres, des approches d’œuvres et des artistes
For a return to links
with some 143 articles on this blog, which exhibit works of art and the artists approaches
Pour aller directement sur les articles ou pages, vous pouvez utiliser deux chemins, le clic direct ne fonctionnant pas :
1: Surlignez la ligne http ou le titre de l'article qui vous intéresse, puis faites un copier/coller sur la barre d'adresses en haut de page;
2 : surlignez la ligne http, puis clique droit, et sur la boite de dialogue qui s'ouvre allez à la ligne " accédez à la http..."

c'est simple et vous pouvez le faire avec autant d'articles que vous le souhaitez. 
Pour les autres articles encore non inscrits sur la liste ci-dessous vous pouvez allez à droite de la page sur "moteur de recherches" ou "archives du blog" en cliquant sur l'année et le mois qui vous intéressent. 

Bonnes lectures et bon voyage dans les merveilles de l'art, le plus souvent totalement inédites et toujours parfaitement originales à l'auteur de ce blog.
C'est aussi un blog d'informations, de culture et de voyages



Sommaire/Editorial
(le blog est sous copyright) 

Les Mots d'Azur au château de Mouans-Sartoux - Saison 2017-2018
https://coureur2.blogspot.fr/2017/10/les-mots-dazur-au-chateau-de-mouans.html

  Les mots d'azur au printemps des muses - suite 2016/2017 des soirées au Château de Mouans-Sartoux
    http://coureur2.blogspot.fr/2017/05/les-mots-dazur-au-printemps-des-muses.html

Des poèmes sur la Riviera aux couleurs des Mots d'Azur : suite des rencontres maralpines de poésie
saison 2016-2017
http://coureur2.blogspot.fr/2016/09/des-poemes-sur-la-riviera-aux-couleurs.html

Festival du Livre à Mouans-Sartoux avec les Mots d'Azur
 - 6-7-8 octobre 2017
https://coureur2.blogspot.fr/2017/10/festival-du-livre-de-mouans-sartoux.html

Festival du Livre à Mouans-Sartoux - 7-8-9 octobre 2016 - avec Les Mots d'Azur
http://coureur2.blogspot.fr/2016/10/festival-du-livre-de-mouans-sartoux-7-8.html

Rencontres maralpines de Poésie - Mots d'Azur 2015-2016
http://coureur2.blogspot.fr/2015/09/rencontres-maralpines-de-poesie-et.html

Marie Gay - Pierre-Jean Blazy - Auteurs et Editions - Fondateurs des Mots d'Azur - Marie Gay -
http://coureur2.blogspot.fr/2016/03/marie-gay-pierre-jean-blazy-auteurs-et.html

Psychiatrie - Une histoire et des concepts - l'humain et l'art en enjeux
http://coureur2.blogspot.fr/2016/11/psychiatrie-une-histoire-et-des.html

Des poèmes sur la Riviera aux couleurs des Mots d'Azur : suite des rencontres maralpines de poésie
saison 2016-2017
http://coureur2.blogspot.fr/2016/09/des-poemes-sur-la-riviera-aux-couleurs.html

Jean-Marie Bouet - Fresselines/Larzac - de la poésie aux planches au festival de Fresselines, au Larzac
https://coureur2.blogspot.fr/2012/06/jean-marie-bouet-des-chansonniers-aux.html

Renata- Sculpture contemporaine
http://coureur2.blogspot.fr/2014/06/sculpture-contemporaine-renata-et-le.html

Renata - Pierre Cardin Lacoste - Moulin de Sade - Lubéron 2015
http://coureur2.blogspot.fr/2015/07/renata-pierre-cardin-lacoste-moulin-de.html

Renata - Akira Murata - Espace Auguste Renoir à Essoyes
http://coureur2.blogspot.fr/2015/08/renata-akira-murata-essoyes-ville.html

Renata chez Pierre Cardin - Le regard de Lydia Harambourg Historienne et critiques d'art, correspndans de 'Institut des Beaux Arts de l'Académie de France
http://coureur2.blogspot.fr/2016/07/renata-chez-pierre-cardin-le-regard-de.html

Mag-Bert ou la peinture mnémonique de gestualité figurative
http://coureur2.blogspot.fr/2014/10/mag-bert-ou-la-peinture-mnemonique-de.html

Claude Peynaud - Clichés et antithèses...
http://coureur2.blogspot.fr/2015/05/cliches-et-antitheses.html

Claude Peynaud - Jogging - Méthode d'élaboration d'un Jogging
http://coureur2.blogspot.fr/2014/05/methode-delaboration-dun-jogging-method.html

Claude Peynaud - Le cercle des oiseaux
http://coureur2.blogspot.fr/2011/09/le-cercle-des-oiseaux-allegorie-de-la.html

Claude Peynaud - Le don de l'aïeule
http://coureur2.blogspot.fr/2011/07/une-theorie-de-construction.html

Claude Peynaud - Une théorie de Construction
http://coureur2.blogspot.fr/2011/07/une-theorie-de-construction.html

Danielle Benitsa Chaminant - Artiste et mémoire de...
http://coureur2.blogspot.fr/2013/01/danielle-benitsa-chaminant-artiste-et.html

Alliot - Vincent Alliot - Visite d'atelier
http://coureur2.blogspot.fr/2014/02/alio-visite-datelier-une-gestualite.html

Rémy Pénard - Art et souvenirs autour de Pierre Courtaud
http://coureur2.blogspot.fr/2013/12/remy-penard-art-et-souvenirs-autour-de.html

Henry Chopin et la bibliothèque de Valérie Peynaud
http://coureur2.blogspot.fr/2013/12/henri-chopin-et-la-bibliotheque-de.html

Sally Ducrow - Land Art et sculpteur ...
http://coureur2.blogspot.fr/2013/01/sally-ducrow-land-art-et-sculpteur.html

Sally Ducrow l'année 2017 - Nationale et internationale - Sculptures - Land-Art - Installatons - Performances...
https://coureur2.blogspot.fr/2017/08/sally-ducrow-lannee-2017-nationale-et.html

Sally Ducrow l'année 2018 - en suivant le chemin de l'aventure internationale de Sally Ducrow
https://coureur2.blogspot.com/2018/07/sally-ducrow-lannee-2018-de-1017-2018.html

CREPS - Boulouris-Saint-Raphaël - Land Art - Sally Ducrow invitée d'honneur
https://coureur2.blogspot.fr/2017/10/creps-paca-boulouris-saint-raphael-land.html

Sally Ducrow : poésie plastique contemporaine
https://coureur2.blogspot.com/2019/06/sally-ducrow-poesie-plastique.html
Valbonne - Echiquier et Mots d'Azur - Fest'in Val - Festival international de Valbonne
http://coureur2.blogspot.fr/2015/08/renata-akira-murata-essoyes-ville.html

Pierre Marchetti magazine...
http://coureur2.blogspot.fr/2011/12/magazine-pierre-marchetti-un-peintre-un.html

La pochade - Pierre Marchetti et l'art de la pochade.
 http://coureur2.blogspot.fr/2012/09/la-pochade-lart-de-la-pochade-et-pierre.html

L'impressionnisme tardif par les souvenirs de Pierre Teillet - Du plainarisme romantique au
 https://coureur2.blogspot.fr/2012/11/limpressionnisme-inedit-par-les.html

Alliance Française - Tiffani Taylor - Savannah Art Walk - ...
http://coureur2.blogspot.fr/2016/01/tiffani-taylor-gallery-une-artiste.html

H.Wood  - un peintre Anglais à Paris au milieu du XIX° siècle
http://coureur2.blogspot.fr/2016/05/hwood-un-artiste-peintre-de-lecole.html

Sophie Marty Huguenin, sculpteur et le marché de Noël à Biot - Les crèches de Cannes - Le partage du pain du père Guy Gilbert
http://coureur2.blogspot.fr/2016/12/sophie-marty-huguenin-sculpteur-et-le.html

Evolution de la gravure à Venise et en Europe du XV° au XVI° siècles - Histoire et techniques
http://coureur2.blogspot.fr/2017/02/la-gravure-venise-et-en-europe-du-xv-au.html

Aux aurores de la peinture moderne et contemporaine occidentale - Giorgione - Les Trois Philisophes
http://coureur2.blogspot.fr/2017/03/aux-aurores-de-la-peinture-moderne-et.html

La décoration intérieure ou la démocratie de l'art
https://coureur2.blogspot.fr/2012/11/wall-painting-fast-track-collection-une.html

Magda Igyarto - Vibrations et expériences de la matière : du visible à l'indicible et de l'indécible au dicible - Peintre, poète et sculpteur
https://coureur2.blogspot.fr/2018/01/magda-igyarto-vibrations-et-experiences.html

Pour ceux qui aiment jouer aux experts 

Vrai ou faux - Houdon ou Houdon
https://coureur2.blogspot.fr/2014/01/houdon-ou-pas-houdon-jouez-lexpert-en.html

Vrai ou faux - Un tableau inconnu de la Renaissance
https://coureur2.blogspot.fr/2013/01/un-tableau-inconnu-de-la-renaissance.html

Vrai ou faux - Traduction originale du manuscrit de Qumram sur la mer morte ( en cours)
https://coureur2.blogspot.fr/2015/01/vrai-ou-faux-traduction-originale-du.html

Pour ceux qui aiment la recherche en académies de nus - modèles vivants
Nus 2015
https://coureur2.blogspot.fr/2015/03/nus-2015-nackt-2015-nude-2015-2015-2015.html
Nus 2014-2015
https://coureur2.blogspot.fr/2014/09/nus-2014-2015-abac-modeles-vivants-nus.html
Nus 2013-2014
https://coureur2.blogspot.fr/2013/09/nus-2012-2013-abac-nus-2012-2013-2012.html 
Nus 2012-2013
https://coureur2.blogspot.fr/2012/10/nus-abac-20122013-associations-des.html

Et pour ceux et celles qui aiment l'archéologie et l'architecture
voici encore un échantillon de mes recherches sur ce blog
And for those who love archeology and architecture
Here again a sample of my research on this blog

L'ancienne église Saint-Nicolas de Monaco
http://coureur2.blogspot.fr/2012/01/monaco-ancienne-eglise-saint-Nicolas-le.html

Techniques et vocabulaires de l'art de la façade peinte
http://coureur2.blogspot.fr/2012/08/un-tour-dans-le-massif-central.html

Les Vecteurs Impériaux de la polychromie occidentale
http://coureur2.blogspot.fr/2012/06/philippines-les-Vecteurs-imperiaux-de.html

Le clocher des Frères Perret à Saint-Vaury
http://coureur2.blogspot.fr/2012/01/perret-freres-le-clocher-des-freres_10.html

Histoire de la Principauté de Monaco
http://coureur2.blogspot.fr/2012/07/histoire-de-la-principaute-de-monaco.html

Le Palais Princier de Monaco
http://coureur2.blogspot.fr/2012/09/palais-princier-de-Monaco-palais-of.html

Versailles - Monaco - Carnolès - Menton: présence de l'art français en Principauté de Monaco
http://coureur2.blogspot.fr/2012/09/versaillesmonaco-larchitecture.html

Primitifs Niçois - Les chapelles peintes des Alpes Maritimes
http://coureur2.blogspot.fr/2012/03/primitis-nicois-les-Chapelles-facades.html

Eglises du sud-ouest de la France A travers l'art de la polychromie architecturale
http://coureur2.blogspot.fr/2013/02/eglises-du-Sud-Ouest-des-alpes-alpes.html

Des cérémonies et des fêtes Autour de Saint-Nicolas de Monaco
http://coureur2.blogspot.fr/2013/09/des-cérémonies-et-des-fêtes-Autour-de.html

Langages de l'art contemporain - répétition, bifurcation, ...
http://coureur2.blogspot.fr/2013/09/repetition-ordinaire-bifurcation-art-du.html

La polychromie architecturale et l'art de la façade peinte (1° partie) - des édifices civils dans les Alpes-Maritimes
http://coureur2.blogspot.fr/2014/07/la-polychromie-architecturale-et-lart.html

Façades peintes - édifices civils du sud-ouest des Alpes - 2° partie - XX° siècle
http://coureur2.blogspot.fr/2015/01/facades-peintes-edifices-civils-du-sud.html

Aspects de l'évolution des seigneuries historiques de la Principauté de Monaco à travers quelques 
exemples d'architectures polychromes ponctuelles.
http://coureur2.blogspot.fr/2016/01/aspects-de-levolution-des-seigneuries.html

                                                                  
Châteaux de la Creuse - de la fin du moyen âge - XV et XVI° siècle
http://coureur2.blogspot.fr/2011/09/une-histoire-de-lescalier-en-vis.html


1° partie - Archéologie Médiévale - Aspects et singularités du château en France à la fin du Moyen Âge (XV° et XVI° siècles)
http://coureur2.blogspot.fr/2013/10/archeologie-medievale-aspects-et.html

2° partie - Archéologie Médiévale - Aspects et singularités du château en France à la fin du Moyen Âge (XV° et XVI° siècles)
http://coureur2.blogspot.fr/2014/11/2-partie-archeologie-medievale-aspects.html


3° partie - suite des parties 2 et 3 d'Archéologie Médiévale consacrées aux aspects et singularités du château en France autour des XV° au XVI° siècles
http://coureur2.blogspot.fr/2016/04/3-partie-suite-des-parties-parties-1-et.html

Yviers/Charente - Archéologie médiévale - Une synthèse sur l'évolution architecturale du XV° au XVI° et XVII° s. en France - Mutations des donjons et maisons-tours des petits châteaux de la fin de la Guerre de Cent-Ans vers les donjons résidentiels de la fin du XV° siècle au XVI° siècle et  des incidences dans le classicisme français.
https://coureur2.blogspot.fr/2018/04/yvierscharente-archeologie-medievale.html

Allemans en Périgord - Manoir du lau - Archéologie Médiévale
https://coureur2.blogspot.com/2018/09/allemans-en-perigord-manoir-du-lau.html

Fonctions religieuses apotropaïques et traditions funéraires en France -
http://coureur2.blogspot.fr/2015/08/fonctions-religieuses-apotropaiques-et.html 

Maisons alpines d'économie rurale (Alpes-Maritimes)
https://coureur2.blogspot.com/2011/11/maisons-alpines-deconomie-rurale.html

Pour ceux qui aiment l'iconologie, et l'iconographie
For those who like iconology, and inconography


         Autour du rocaille. Dessin préparatoire d'étude - Le jugement de Pâris
             https://coureur2.blogspot.com/2011/07/dessin-preparatoire-pour-une.html  

La Véronique - Image ou non de la représentation
http://coureur2.blogspot.fr/2012/12/la-veronique-de-la-legende-lart.html 

Langages de l'art contemporain - Répétition ordinaire - Bifurcations - Translation...
https://coureur2.blogspot.fr/2013/09/repetition-ordinaire-bifurcation-art-du.html

Fête de la musique à Nice - Place Garibaldi à Nice - Exposition d'artistes Polonais
https://coureur2.blogspot.fr/2013/07/la-fete-de-la-musique-expositions.html

La Mourachonne à Pégomas (exercice de recherche iconographique)
https://coureur2.blogspot.fr/2012/05/la-mourachone-pegomas-nouvelles.html

Cannes en 4 perspectives albertiennes recomposées - dessin panoramique à la mine de plomb
       https://coureur2.blogspot.fr/2018/02/cannes-en-4-perspectives-albertiennes.html 

Pour ceux qui aiment la poésie et qui en plus, comme moi, la reconnaisse comme la mère de tous les arts y compris de l'art contemporain
For those who love poetry and more, as I recognize it as the mother of all arts including contemporary art

Rencontres maralpines de Poésie - Mots d'Azur 2015-2016
http://coureur2.blogspot.fr/2015/09/rencontres-maralpines-de-poesie-et.html

Des poèmes sur la Riviera aux couleurs des Mots d'Azur : suite des rencontres maralpines de poésie 2016-2017
http://coureur2.blogspot.fr/2016/09/des-poemes-sur-la-riviera-aux-couleurs.html

Pierre Courtaud - Magazine - Un écrivain, un éditeur un poète, un chercheur en écritures - Un spécialiste de nombreux auteurs.
http://coureur2.blogspot.fr/2012/03/pierre-courtaud-magazine-un-ecrivain-un.html

Henry Chopin et la bibliothèque de Valérie Peynaud
http://coureur2.blogspot.fr/2013/12/henri-chopin-et-la-bibliotheque-de.html

Cannes -1° nuit de la poésie et de la musique au Suquet - 21 juin 2014
http://coureur2.blogspot.fr/2014/06/cannes-1-nuit-de-la-poesiefete-de-la.html

 2° nuit de la musique et de la poésie - Cannes 21 juin 2015
http://coureur2.blogspot.fr/2015/05/2-nuit-de-la-poesie-et-de-la-musique-au.html

3° nuit de la poésie et de la musique  au Suquet- Cannes Moulin Forville le 21 juin 2016
http://coureur2.blogspot.fr/2016/06/3-nuit-de-la-poesie-et-de-la-musique-du.html

Golf-Juan - Performance poétique - Brigitte Broc - Cyril Cianciolo
http://coureur2.blogspot.fr/2015/03/golf-juan-performance-poetique-brigitte.html

Marie Gay - Pierre-Jean Blazy - Auteurs et Edition(s) - Fondateurs des Mots d'Azur
http://coureur2.blogspot.fr/2016/03/marie-gay-pierre-jean-blazy-auteurs-et.html

De Vallauris à Cannes - Le Printemps des Poètes sur la Côte d'Azur avec Les Mots d'Azur
http://coureur2.blogspot.fr/2016/03/de-vallauris-cannes-la-cote-dazur-en.html

 Christophe Forgeot : Poète  - Poésie - Poème
http://coureur2.blogspot.fr/2014/09/christophe-forgeot-un-poete.html

Zorica Sentic - Poète-romancière Franco-Serbe
https://coureur2.blogspot.fr/2012/09/zorica-sentic-poete-romancier.html

La Corse des poètes
https://coureur2.blogspot.fr/2015/08/la-corse-des-poetes-porticcio-village.html

Magda Igyarto - Vibrations et expériences de la matière : du visible à l'indicible et de l'indécible au dicible - Peintre, poète et sculpteur
https://coureur2.blogspot.fr/2018/01/magda-igyarto-vibrations-et-experiences.html

Pour ceux qui aiment les légendes
For those who love legends

The Woodcutter and the Revenant - Sedimentary Memory - Essay - Creuse
Http://coureur2.blogspot.fr/2013/07/la-creuse-memoire-sedimentaire.html

La Creuse - Le Bûcheron et le Revenant - Mémoire sédimentaire - Essai - Creuse
http://coureur2.blogspot.fr/2013/07/la-creuse-memoire-sedimentaire.html

Les routards de la baie d'Halong dans la tourmente https://coureur2.blogspot.fr/2013/10/les-routards-de-la-baie-dhalong-dans-la.html

Vietnam - La légende du Dieu des montagnes et du Dieu de la mer
https://coureur2.blogspot.fr/2014/05/vietnam-la-legende-du-dieu-des.html

Pour ceux qui aiment les voitures de collection
Vis-à-vis de Dion-Bouton type E 452 - La voiture emmurée aux enchères à Lyon
https://coureur2.blogspot.fr/2015/09/1900-vis-vis-de-dion-bouton-type-e-452.html

Pour ceux qui aiment l'art lyrique et la musique
Johanna Coutaud (prochainement)
Chanteuse lyrique - Soprano

Elzbieta Dedek - Pianiste virtuose internationale
http://coureur2.blogspot.fr/2016/09/pianiste-virtuose-internationale.html

Pour ceux qui aiment le cinéma
68° festival du cinéma - Alexandra Robin - Léopold Bellanger  - Cédric Bouet
http://coureur2.blogspot.fr/2015/05/68-festival-cinema-cannes-2015.html

Pour ceux qui aiment la danse
 48° Congrès Mondial de la Recherche en Danse - Avignon du 9 au 13 novembre 2016 - Fabienne Courmont présidente -  UNESCO-CID partenaires 
http://coureur2.blogspot.fr/2016/11/48-congres-mondial-de-recherche-en.html  

Festival d'Avignon à Mouans-Sartoux - Danser Baudelaire - Bruno Niver - Marina Sosnina - Répétition générale
https://coureur2.blogspot.fr/2015/02/du-festival-davignon-mouans-sartoux.html


Pour ceux qui aiment s'habiller et sortir
Eliane Horville - soirées - ville - élégance - conseils - coach
https://coureur2.blogspot.fr/2016/01/soirees-ville-elegance-every-wear.html

Sortir - Manifestations -Performances - Expositions...2012/2017
https://coureur2.blogspot.fr/2013/02/evenements-expositions-manifestations.html


Pour des participations citoyennes


Ordre national infirmier - Recommandations sanitaires
http://coureur2.blogspot.fr/2017/06/ordre-national-infirmier-recommandations.html

Pour ceux qui aiment les multiples beautés de la France 

Les oliviers fantastiques de Lucette
https://coureur2.blogspot.fr/2012/10/les-oliviers-fantastiques-de-lucette.html

Carnet de voyage - Ombres et Lumières - L'eau et les Sables, architectures de villégiatures
https://coureur2.blogspot.fr/2014/01/ombres-et-lumieres-leau-et-les-sables.html

2 - La France en vrac
https://coureur2.blogspot.fr/2014/10/visiteurs-des-pages-pour-voir-le-site.html

1 - CP La France en vrac 1
https://coureur2.blogspot.fr/2014/01/la-france-en-vrac-france-in-bulk-franca.html




                                                              



1 commentaire:

  1. Félicitations pour votre remarquable travail, pour votre passion de la recherche. Et pour être allé au bout de ce projet en Histoire de l'art sur le Voile de Véronique et la Sainte Face.

    RépondreSupprimer